dimanche 11 septembre 2016

Irak : "Sans déminage, il n'y a pas de reconstruction possible"

 Un habitant d'un village kakais de la plaine de Ninive retrouve sa maison. 

Alors que la coalition internationale et le gouvernement irakien préparent la libération de Mossoul, la seconde ville d'Irak, et de la plaine de Ninive, plusieurs ONG préparent déjà « l'après » et le retour des populations civiles dans les zones contrôlées depuis plus deux ans par Daech. Parmi elles, Fraternité en Irak, très active depuis plusieurs années dans la plaine de Ninive auprès des chrétiens. En partenariat avec le ministère des Affaires étrangères, elle vient de lancer un très ambitieux programme de formation de civils, des chrétiens et des kakais, au déminage dans des zones récemment libérées. Faraj Benoit Camurat est le président de cette ONG très active depuis longtemps auprès des chrétiens d'Irak et des autres minorités religieuses de la région.

La guerre contre Daech n'en est qu'à ses débuts. Elle sera longue. Et pourtant, vous venez de lancer un programme de formation de civils irakiens au déminage. Pourquoi ?
Il est impossible d'avoir une idée précise du calendrier militaire. Nous ne maîtrisons évidemment pas ces informations, d'autant qu'au-delà des aspects concrets de la guerre, il y a beaucoup d'incertitudes politiques sur « l'après » et sur le contrôle de telle ou telle zone. Ce qui est sûr en revanche, c'est que Daech a consciencieusement miné tous les villages et toutes les zones qu'il contrôle depuis plus de deux ans. Des milliers de bâtiments, de ponts, de routes, de champs ont été piégés. Sur le terrain, les militaires font une partie du travail, mais ils ont une priorité : faciliter leur progression. Ils ne déminent donc pas en détail les villages et les zones libérées. Or, les djihadistes ont adopté une politique de la terre brûlée : quand ils quittent un endroit, ils le minent. À la fois pour ralentir la progression de leurs ennemis et surtout pour faire le plus de dégâts possible sur les populations civiles. Certains villages de 500 habitants comptent 1 500 objets explosifs. Certaines mines sont actionnées à distance. Des explosifs sont aussi placés aléatoirement dans le sol ou dans des objets du quotidien.

Comment avez-vous pris la mesure de ce phénomène ?
Dans les premiers villages libérés, il y a fréquemment des accidents. Depuis le printemps, 12 personnes sont mortes à cause de ces mines alors qu'elles venaient récupérer leurs affaires ou voir dans quel état étaient leurs maisons. En envoyant des volontaires auprès des réfugiés que nous accompagnons depuis plusieurs années, nous avons constaté qu'en plus de la reconstruction d'écoles, d'hôpitaux, et bien sûr d'habitations, il fallait d'urgence sécuriser les villages repris à Daech. Or, cela prend très longtemps de former sérieusement des démineurs. Il faut environ 3 mois de formation. Puis c'est un travail lent qui commence. Cela peut prendre 6 mois pour sécuriser un village. Sans déminage, il n'y a pas de reconstruction possible et pas d'avenir possible pour les civils dans les zones libérées. Les habitants ne peuvent pas rentrer chez eux et se réinstaller. C'est une attente insupportable pour ces personnes qui ont déjà passé des années dans des camps ou dans des refuges de fortune dans des conditions très rudes.

Cela suffira-t-il pour encourager le retour des réfugiés, dont beaucoup ont déjà fait le choix de l'exil définitif ?
Beaucoup ont, certes, déjà tourné la page et ne reviendront pas. Mais avec les premières défaites de Daech, nous sentons un changement d'état d'esprit chez beaucoup de réfugiés, notamment chez ceux qui vivent dans des conditions particulièrement difficiles. Ils veulent rentrer chez eux, reconstruire une vie sans Daech. C'est notre devoir de les aider à se réinstaller.

Propose recueillis par Romain Gubert

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