mardi 21 janvier 2014

Syrie : comment les Occidentaux ont renoué avec Bachar el-Assad (Armin Arefi)

L’Occident fait-il de nouveau volte-face sur la Syrie ? Après avoir été remis en selle sur la scène internationale, à la faveur du rocambolesque accord sur le démantèlement des armes chimiques syriennes, le régime syrien recevrait depuis de bien précieux visiteurs. "Il existe des contacts entre les services de renseignements de certains pays occidentaux et leurs homologues syriens sur des questions sécuritaires", explique une source bien informée.
Par "questions sécuritaires", l’Occident désigne en fait l’inquiétante recrudescence du nombre de djihadistes originaires du Vieux Continent au sein de groupes affiliés à al-Qaida combattant en Syrie. Véritable hantise des chancelleries occidentales, cette problématique paraît désormais prendre le dessus sur toute autre considération, dans une crise syrienne devenue inextricable. "Cela fait plusieurs mois, depuis l’été 2012, que nous sommes particulièrement inquiets face à un phénomène d’une ampleur inégalée", a encore indiqué dimanche Manuel Valls, durant Le Grand Rendez-vous Europe1-i>Télé-Le Monde.

La peur bleue du djihadisme
D’après le ministre de l’Intérieur, quelque 700 Français - ou personnes résidant en France - seraient impliqués dans le conflit syrien : près de 250 combattent actuellement en Syrie, une centaine sont en transit pour s’y rendre, 150 ont manifesté leur volonté d’y aller, 76 en sont revenus, et enfin 21 y ont trouvé la mort. Une tendance qui s’est "accélérée ces dernières semaines", a prévenu Manuel Valls.
C’est donc pour enrayer ce phénomène, qui fait peser sur l’Europe de lourdes menaces, dès lors que les djihadistes rentreront au pays, que les services de renseignements occidentaux ont renoué avec Damas. À en croire le Wall Street Journal, plusieurs réunions auraient ainsi eu lieu depuis l’automne entre des membres de services européens, d’anciens diplomates occidentaux et des représentants du régime syrien. D’après le quotidien américain, les premiers à avoir franchi le pas seraient les Britanniques du MI6 (les services secrets de renseignements), mandatés par Londres. Auraient suivi, à partir de novembre, leurs homologues allemands, espagnols... mais aussi français.

Des liens qui ont "toujours existé" (ex-diplomate)
"Les liens entre les différents services ont toujours existé, notamment pour ce qui est des otages occidentaux", concède Ignace Leverrier (1), ancien diplomate en poste à Damas. "Mais des contacts ne signifient nullement la reprise des relations diplomatiques." En mars 2012, la France et la Grande-Bretagne ont été parmi les premiers pays à fermer leurs ambassades à Damas, afin de protester contre la répression menée par le régime contre sa propre population.
"C’est justement lorsque la diplomatie est rompue que les services de renseignements extérieurs doivent établir des contacts, y compris avec des régimes adverses", explique Éric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Cet ancien officier analyste au secrétariat général de la défense nationale (SGDN) ajoute que la DCRI (direction centrale du renseignement intérieur, à ne pas confondre avec la direction générale de la sécurité extérieure) n’a pas apprécié la rupture en 2012 des relations avec Damas, d’autant plus que la collaboration entre services permettait de recueillir de précieuses informations sur les djihadistes.

"Schisme" entre services et politiques occidentaux
D’après un fin connaisseur du dossier, ce seraient en réalité les services allemands qui auraient les premiers ouvert le bal à Damas en mai 2012, avant que nombre de leurs homologues européens - dont la France - ne leur emboîtent le pas. Or, à chaque rencontre, la partie syrienne a conditionné toute collaboration à une réouverture préalable des liens diplomatiques avec les pays concernés. Si notre première source écarte qu’un pays occidental du groupe des Amis de la Syrie (France, Royaume-Uni, États-Unis, Allemagne, Italie) songe à rouvrir son ambassade, elle admet cependant que "d’autres États demeurent aujourd’hui tentés".
Pour l’heure, les seules sources officielles à avoir confirmé un rapprochement entre Damas et les capitales occidentales proviennent de Syrie. Dans un entretien à la BBC le 15 janvier dernier, Faisal Mekdad, le vice-ministre syrien des Affaires étrangères, a annoncé que "beaucoup" de services occidentaux avaient approché Damas, notamment pour "coopérer sur des mesures de sécurité". "Les terroristes" envoyés d’Europe en Syrie sont devenus "une vraie menace pour eux", a-t-il martelé, prenant un malin plaisir à interpréter ces contacts comme un "schisme" entre les services occidentaux et leurs politiques, qui poussent au départ de Bachar el-Assad.

Vers une réouverture d’ambassades ?
Toutefois, Ignace Leverrier invite à se méfier des annonces tapageuses de la Syrie, qui, d’après lui, visent avant tout à donner l’impression d’une normalisation des relations avec Damas, alors qu’il n’en est rien. "Il ne s’agit pas de réhabiliter le régime syrien, mais d’atténuer la menace liée aux djihadistes", souligne l’ex-diplomate. "Nous savons que Bachar el-Assad n’a jamais véritablement lutté contre eux. Au contraire, il s’en sert comme d’un allié objectif semant la panique dans les zones qu’il conquiert."
Reste que la reprise de contacts entre le régime syrien et l’Occident place Bachar el-Assad en position idéale à la veille de la conférence sur la paix de Genève II. Ayant déjà repris l’avantage sur le terrain, le président syrien paraît aujourd’hui en mesure d’imposer ses propres conditions à une opposition syrienne morcelée et affaiblie. Ultime pied de nez à ses détracteurs, le maître de Damas a d’ailleurs annoncé qu’il y avait de "fortes chances" qu’il brigue un nouveau mandat en 2014. Or, la conférence vise justement à ce qu’il cède le pouvoir.

(20-01-2014 - Armin Arefi)

(1) Ignace Leverrier, auteur du blog Un oeil sur la Syrie du Monde.fr.

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