L’Occident fait-il de nouveau volte-face sur la Syrie ? Après avoir
été remis en selle sur la scène internationale, à la faveur du
rocambolesque accord sur le démantèlement des armes chimiques syriennes,
le régime syrien recevrait depuis de bien précieux visiteurs. "Il
existe des contacts entre les services de renseignements de certains
pays occidentaux et leurs homologues syriens sur des questions
sécuritaires", explique une source bien informée.
Par "questions sécuritaires", l’Occident désigne en fait l’inquiétante
recrudescence du nombre de djihadistes originaires du Vieux Continent au
sein de groupes affiliés à al-Qaida combattant en Syrie. Véritable
hantise des chancelleries occidentales, cette problématique paraît
désormais prendre le dessus sur toute autre considération, dans une
crise syrienne devenue inextricable. "Cela fait plusieurs mois, depuis
l’été 2012, que nous sommes particulièrement inquiets face à un
phénomène d’une ampleur inégalée", a encore indiqué dimanche Manuel
Valls, durant Le Grand Rendez-vous Europe1-i>Télé-Le Monde.
La peur bleue du djihadisme
D’après le ministre de l’Intérieur, quelque 700 Français - ou personnes
résidant en France - seraient impliqués dans le conflit syrien : près de
250 combattent actuellement en Syrie, une centaine sont en transit pour
s’y rendre, 150 ont manifesté leur volonté d’y aller, 76 en sont
revenus, et enfin 21 y ont trouvé la mort. Une tendance qui s’est
"accélérée ces dernières semaines", a prévenu Manuel Valls.
C’est donc pour enrayer ce phénomène, qui fait peser sur l’Europe de
lourdes menaces, dès lors que les djihadistes rentreront au pays, que
les services de renseignements occidentaux ont renoué avec Damas. À en
croire le Wall Street Journal, plusieurs réunions auraient ainsi eu lieu
depuis l’automne entre des membres de services européens, d’anciens
diplomates occidentaux et des représentants du régime syrien. D’après le
quotidien américain, les premiers à avoir franchi le pas seraient les
Britanniques du MI6 (les services secrets de renseignements), mandatés
par Londres. Auraient suivi, à partir de novembre, leurs homologues
allemands, espagnols... mais aussi français.
Des liens qui ont "toujours existé" (ex-diplomate)
"Les liens entre les différents services ont toujours existé, notamment
pour ce qui est des otages occidentaux", concède Ignace Leverrier (1),
ancien diplomate en poste à Damas. "Mais des contacts ne signifient
nullement la reprise des relations diplomatiques." En mars 2012, la
France et la Grande-Bretagne ont été parmi les premiers pays à fermer
leurs ambassades à Damas, afin de protester contre la répression menée
par le régime contre sa propre population.
"C’est justement lorsque la diplomatie est rompue que les services de
renseignements extérieurs doivent établir des contacts, y compris avec
des régimes adverses", explique Éric Denécé, directeur du Centre
français de recherche sur le renseignement (CF2R). Cet ancien officier
analyste au secrétariat général de la défense nationale (SGDN) ajoute
que la DCRI (direction centrale du renseignement intérieur, à ne pas
confondre avec la direction générale de la sécurité extérieure) n’a pas
apprécié la rupture en 2012 des relations avec Damas, d’autant plus que
la collaboration entre services permettait de recueillir de précieuses
informations sur les djihadistes.
"Schisme" entre services et politiques occidentaux
D’après un fin connaisseur du dossier, ce seraient en réalité les
services allemands qui auraient les premiers ouvert le bal à Damas en
mai 2012, avant que nombre de leurs homologues européens - dont la
France - ne leur emboîtent le pas. Or, à chaque rencontre, la partie
syrienne a conditionné toute collaboration à une réouverture préalable
des liens diplomatiques avec les pays concernés. Si notre première
source écarte qu’un pays occidental du groupe des Amis de la Syrie
(France, Royaume-Uni, États-Unis, Allemagne, Italie) songe à rouvrir son
ambassade, elle admet cependant que "d’autres États demeurent
aujourd’hui tentés".
Pour l’heure, les seules sources officielles à avoir confirmé un
rapprochement entre Damas et les capitales occidentales proviennent de
Syrie. Dans un entretien à la BBC le 15 janvier dernier, Faisal Mekdad,
le vice-ministre syrien des Affaires étrangères, a annoncé que
"beaucoup" de services occidentaux avaient approché Damas, notamment
pour "coopérer sur des mesures de sécurité". "Les terroristes" envoyés
d’Europe en Syrie sont devenus "une vraie menace pour eux", a-t-il
martelé, prenant un malin plaisir à interpréter ces contacts comme un
"schisme" entre les services occidentaux et leurs politiques, qui
poussent au départ de Bachar el-Assad.
Vers une réouverture d’ambassades ?
Toutefois, Ignace Leverrier invite à se méfier des annonces tapageuses
de la Syrie, qui, d’après lui, visent avant tout à donner l’impression
d’une normalisation des relations avec Damas, alors qu’il n’en est rien.
"Il ne s’agit pas de réhabiliter le régime syrien, mais d’atténuer la
menace liée aux djihadistes", souligne l’ex-diplomate. "Nous savons que
Bachar el-Assad n’a jamais véritablement lutté contre eux. Au contraire,
il s’en sert comme d’un allié objectif semant la panique dans les zones
qu’il conquiert."
Reste que la reprise de contacts entre le régime syrien et l’Occident
place Bachar el-Assad en position idéale à la veille de la conférence
sur la paix de Genève II. Ayant déjà repris l’avantage sur le terrain,
le président syrien paraît aujourd’hui en mesure d’imposer ses propres
conditions à une opposition syrienne morcelée et affaiblie. Ultime pied
de nez à ses détracteurs, le maître de Damas a d’ailleurs annoncé qu’il y
avait de "fortes chances" qu’il brigue un nouveau mandat en 2014. Or,
la conférence vise justement à ce qu’il cède le pouvoir.
(20-01-2014 - Armin Arefi)
(1) Ignace Leverrier, auteur du blog Un oeil sur la Syrie du Monde.fr.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire