vendredi 28 août 2015

Moyen-Orient : Les belles promesses de la France aux archéologues syriens et irakiens (Florence Evin)

Mardi 25 août – au lendemain d’une série de drames à Palmyre, en Syrie, avec la décapitation de Khaled Al-Asaad, ancien directeur du site archéologique, et la destruction à l’explosif du temple de Baalshamin, par les djihadistes de l’Etat islamique (EI) – François Hollande réitérait la volonté de la France exprimée, six mois plus tôt au Louvre, de « tout faire » pour « protéger les trésors » du patrimoine syrien et irakien. « Comment agir ? [Que] pouvons-nous faire pour la sauvegarde du patrimoine et de la culture ? », avait-il alors demandé à Jean-Luc Martinez, président-directeur du musée parisien, en le chargeant d’une mission d’expertise.
Aux ambassadeurs, réunis mardi pour leur rendez-vous annuel de fin d’été, M. Hollande répétait l’engagement pris le 18 mars, après les destructions des antiques cités de Nimroud et Hatra en Irak, l’ancienne Mésopotamie. M. Hollande s’était aussi engagé à ce que « les jeunes archéologues puissent poursuivre leur travail en étroite collaboration avec les universités françaises. La France accueillera ainsi des doctorants irakiens qui viendront compléter leur cursus et leurs travaux de recherche ».

Cinq mois plus tard, ce sont les tracasseries administratives liées aux permis de séjour des scientifiques accueillis en France, dans le cadre de travaux de recherche ou de stages, qui freinent cette coopération.
Vincent Guichard, directeur général du Centre d’archéologie européenne de Bibracte, dans le Morvan, s’en désole : « Aucune procédure n’est organisée, on dépend de personnes de bonne volonté. » Sans anges gardiens, les dossiers n’aboutissent pas. « L’afflux des collègues scientifiques du Moyen-Orient est d’une telle ampleur que nos moyens ne suffisent pas, et il n’y a pas assez de postes sur les budgets. On fait du bricolage », reconnaît M. Guichard.
Le cas d’Houmam Saad, brillant archéologue syrien de 36 ans, auteur d’une thèse intitulée « Représentation humaine dans les tombes de Palmyre », est édifiant. En avril 2014, il est accueilli au Louvre au sein du département des Antiquités orientales, pour un stage de six mois, grâce à une bourse du ministère de la culture. L’archéologue a ensuite poursuivi ses recherches, pendant neuf mois, au laboratoire d’archéologie Aoroc de l’Ecole normale supérieure (ENS). Pour repousser son retour en Syrie, il vient d’obtenir un nouveau contrat à l’université de Paris-IV.
Mais le parcours du combattant de M. Saad n’est pas terminé. Malgré un visa scientifique, qui l’autorise à travailler, et son contrat de travail, il doit renouveler tous les deux mois les formalités de permis de séjour. A chaque fois, les services de l’immigration le font revenir pour des documents manquants.

Comme si les injonctions du président français étaient restées lettre morte. Le caractère interministériel de la décision présidentielle semble ignoré. Vincent Guichard le regrette : « Ces scientifiques sont à notre disposition pour lutter contre le trafic illicite international nourri par le pillage sauvage des sites archéologiques, ils connaissent parfaitement les collections d’objets de l’Antiquité. » L’enjeu est prioritaire pour M. Hollande.
Pour Béatrice André-Salvini, directrice honoraire du département des antiquités orientales du Louvre, la collaboration entre les équipes françaises, syriennes et irakiennes est un enrichissement pour les scientifiques des trois pays. Cette spécialiste, qui a arpenté la région pendant plus de trente ans, rappelle que les liens noués entre les personnels scientifiques des deux pays avec la France ne datent pas d’hier.
« En 2009-2010, un très gros programme de coopération avec la Syrie a été signé au niveau des musées et de la recherche, rappelle-t-elle. Au Louvre, les trois stagiaires accueillis en 2014 ont participé totalement à la vie du musée. Il faut continuer à former les jeunes. Il est très important qu’il ne manque pas toute une génération de spécialistes en Syrie. Et cela permet de jeter les bases d’une collaboration encore plus étroite. Le régime politique n’influe pas sur la culture. Le patrimoine, c’est le patrimoine. »
L’archéologue francophone Maamoun Abdulkarim, directeur général des antiquités et des musées syriens, qui a fait sa thèse en France sur « Les Villes mortes de la Syrie du Nord », est aujourd’hui salué par la communauté scientifique internationale pour son courage et son travail de mise à l’abri des collections des musées syriens. « Il reste debout et il continue à défendre corps et âme le patrimoine culturel de son pays », clame Mounir Bouchenaki, directeur du Centre régional arabe pour le Patrimoine mondial de l’Unesco.

Dans la lettre de mission d’expertise adressée à M. Martinez, M. Hollande précise : « Les conflits qui ravagent aujourd’hui la Syrie ou l’Irak ont des conséquences irrémédiables sur des patrimoines parfois millénaires (…) des biens communs de l’humanité. La France est déjà mobilisée. (…) Mais il faut aller plus loin (…), je souhaite (…) des recommandations concrètes et opérationnelles sur les initiatives et actions que la France devrait, selon vous, engager. »
Le rapport de M. Martinez et ses propositions sont attendus en octobre. D’ores et déjà, le patron du Louvre a lancé un projet de numérisation du patrimoine antique en danger de la Syrie et de l’Irak, financé par le ministère de la culture, sous la direction de Francis Johannès, directeur de recherche au CNRS. Deux doctorants, Louise Quillien et Mustapha Djabellaoui, ont été chargés de numériser les œuvres majeures des collections mésopotamiennes du Louvre, dont le Code d’Hammourabi, l’un des tout premiers codes législatifs de l’Histoire. La même opération pourrait être réalisée au Musée national irakien de Bagdad.
Ce travail, commencé par les Allemands, constituerait un premier pas vers la numérisation de toutes les archives de fouilles et trésors de l’ancienne Mésopotamie, dispersés dans le monde entier. Reste à protéger les sites eux-mêmes de la destruction, un objectif qui ne mobilise pas la coalition internationale qui lutte contre l’EI.

(28-08-2015 - Florence Evin - Le Monde)

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