jeudi 19 juin 2014

Syrie : Les Syriens bravent guerre et terreur pour suivre le Mondial

Dans le nord de la Syrie en guerre, rien n’empêchera Abou Ibrahim de regarder les matchs de la Seleçao. Comme lui, des milliers de ses compatriotes veulent à tout prix suivre le Mondial, en faisant fi des bombardements du régime ou des menaces jihadistes.
Dans la province de Raqa (nord), bastion de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) -un groupe jihadiste ultra-radical-, des jeunes ont bravé vendredi la colère des extrémistes pour pouvoir suivre le match entre l’Espagne et les Pays-Bas.
"Des membres de l’EIIL ont fait irruption dans les cafétérias au premier jour du Mondial et ont forcé les jeunes à prier. Ils ont dit que le football éloignait nos esprits de Dieu", raconte à l’AFP via internet Abou Ibrahim, qui utilise un pseudonyme pour des raisons de sécurité.
"J’ai donc regardé le match de vendredi chez un ami. On était tellement inquiet qu’on a fait attention à ne pas pousser de cris au moment des buts", a-t-il ajouté.
Fan de l’équipe du Brésil, Abou Ibrahim est un des rares à oser parler à la presse de son opposition à l’EIIL.
C’est ce même groupe qui a mené cette semaine une offensive spectaculaire en Irak et qui est accusé des pires atrocités, comme des enlèvements et des exécutions sommaires.
"Ils veulent que tout soit triste et sombre. Mais moi j’aime la vie, j’aime le football", a souligné Abou Ibrahim, la vingtaine.
Il raille la débâcle de la "Roja" face aux Néerlandais (5-1) sur sa page Facebook : "Les Pays-Bas n’ont fait qu’une bouchée de l’Espagne, tout comme l’EIIL a envahi l’Irak", a-t-il plaisanté.
Près de Damas, dans la région rebelle de Muwadamiyat al-Cham, un volontaire dans un hôpital de campagne, suit également le Mondial quasi-religieusement.
"On était six chez moi à regarder le face-à-face Espagne-Pays-Bas. Mais comme au sein de l’opposition syrienne, chacun soutient un camp", plaisante Anas, en référence aux adversaires du régime syrien, profondément divisés.
Mais "l’atmosphère était joyeuse et relax. C’est une occasion de profiter de la vie et d’oublier notre lassitude quotidienne", précise Anas.
Muwadamiyat al-Cham était un bastion rebelle, mais après un siège qui a réduit la population à la disette pendant un an, les rebelles ont signé une trêve avec le régime.
Depuis le coup d’envoi du Mondial, les vergers où se déroulaient les combats il y a juste un an sont occupés aujourd’hui par des écrans géants pour suivre les matchs, injectant un peu de vie dans la région déchirée par la guerre.
Et dans la province d’Idleb (nord-ouest), en majorité aux mains des rebelles et bombardée quotidiennement par l’armée, le militant Ibrahim al-Idlebi a mis son T-shirt aux couleurs de l’Espagne et bu du maté (infusion traditionnelle) en regardant le match.
"Nous faisons tout pour oublier le siège, les bombardements et la mort", explique-t-il à l’AFP via internet.
Ibrahim admet avoir senti un peu de tristesse après la défaite de l’Espagne. "Mais vous savez, ce n’est qu’un jeu et quand le match est terminé, je suis retourné à mes activités de militant", affirme-t-il Même dans le camp de Yarmouk assiégé par l’armée et où plus de 100 personnes sont mortes de famine depuis l’été dernier, on veut également faire partie de la planète foot.
"Le miracle du siège : venez regarder le match Angleterre-Italie gratuitement dans le centre de jeunesse de Yarmouk. J’y vais maintenant !", écrivait un militant du camp sur Facebook samedi.
Dans les secteurs rebelles de la province de Lattaquié (nord-ouest), on se presse devant les petits écrans dans les abris.
"Les gens se sentent plus en sécurité en regardant les matchs dans les sous-sols. Il y a tout le monde, des enfants, des jeunes, des rebelles", affirme Omar el-Jeblawi, un militant.
Mais alors que la guerre continue de faire rage après avoir fauché la vie à plus de 162 000 personnes en trois ans, certains ont l’esprit ailleurs.
"Je regardais le foot tout le temps avant la révolution", affirme Adam al-Khaled, militant dans une ville proche de Damas tenue par le pouvoir. "Mais aujourd’hui je n’ai plus le temps".

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