dimanche 22 juin 2014

Irak : la France aux abonnés absents (Armin Arefi)

Longtemps en première ligne dans la lutte contre Bachar el-Assad en Syrie, la France frappe par son absence sur le dossier de l’Irak, après la spectaculaire offensive des djihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant en Irak (EIIL), qui se sont emparés de la semaine dernière d’importantes provinces du Nord. "Nous avons, en effet, été surpris. Personne ne s’attendait à ce que l’armée irakienne lâche prise aussi facilement", convient un diplomate français de haut rang.

Sauf que la crise est potentiellement plus grave qu’en Syrie, en tout cas pour l’Occident. En contrôlant désormais le tiers de l’Irak, l’EIIL, qui possédait déjà une grande partie du nord et de l’est de la Syrie, a de fait effacé la frontière entre les deux pays, créant une sorte de "Djihadistan", d’où ils sont en mesure de lancer une attaque d’ampleur sur Bagdad. Un "pays" entièrement voué au djihad au coeur du Moyen-Orient, servant de terrain d’entraînement aux djihadistes du monde entier. De quoi faire frémir les pays de la région, comme l’Occident.

Pour lutter contre ce fléau, les États-Unis, qui se sont retirés d’Irak fin 2011 et qui n’ont aucune intention d’y retourner, ont déjà annoncé leur intention d’envoyer sur place 300 conseillers militaires. Objectif : "entraîner, assister et soutenir" l’armée irakienne dans sa lutte contre les "terroristes". À la pointe du combat contre les djihadistes, notamment au Mali, la France s’est pourtant contentée jeudi des simples condamnations d’usage. À l’issue d’un conseil restreint de défense, la présidence de la République a fait part de sa "préoccupation" à la suite à l’offensive de l’EIIL qui "compromet l’unité de l’Irak et crée de nouvelles menaces pour la stabilité et la sécurité de toute la région".

Des propos fermes, certes, mais aucune annonce. "Une réponse résolue des autorités irakiennes est urgente", souligne le communiqué de l’Élysée. Problème, le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki demeure aujourd’hui totalement impuissant face à l’avancée des djihadistes, ce qui l’a d’ailleurs amené à solliciter de nouveau l’aide de la communauté internationale. "Il y a un gouvernement légitime en Irak qui travaille à prévenir l’entrée des djihadistes à Bagdad, dont personne ne peut se satisfaire", rappelle le diplomate français. "Ce n’est pas nous qui organisons la réponse sécuritaire. L’armée irakienne, composée de 600 000 hommes, doit mener la contre-offensive", poursuit la source.

Or, si les forces irakiennes sont quelque peu parvenues à contenir l’avancée des djihadistes vers Bagdad, elles sont encore bien loin de pouvoir prétendre contre-attaquer. Nul n’a en effet oublié le paysage de désolation - uniformes et véhicules de l’armée abandonnés, casernes de police vidées - qu’ont laissé derrière eux les soldats irakiens en abandonnant Mossoul, pourtant seconde ville du pays, aux insurgés. "Certaines forces armées irakiennes ont clairement déserté à Mossoul, ce qui signifie qu’elles étaient infiltrées par les insurgés", rappelle d’ailleurs Myriam Benraad, chercheuse à Sciences Po et analyste au Conseil européen des affaires étrangères (ECFR). "Cela en dit long sur l’Irak de 2014, qui n’a toujours pas d’État ni d’armée."

Depuis son élection à la tête du gouvernement en 2006, le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki a totalement marginalisé la minorité sunnite irakienne. Tandis que les postes les plus importants sont dévolus aux chiites du parti Dawa (dont Maliki est le chef), les sunnites n’ont d’autre choix que de se contenter de ministères subalternes. Un sentiment d’exclusion renforcé par une sous-représentation dans les institutions ou dans les forces armées. "Maliki a concentré le pouvoir entre ses mains et celles de sa communauté, contrairement à ce que prévoit la Constitution irakienne", pointe le haut diplomate français, pour qui "ce contexte politique grave explique pourquoi l’EIIL a conquis une part importante du territoire irakien sans rencontrer de grande résistance de la part du corps social".

Conscient de l’état de délabrement de l’armée irakienne, Barack Obama étudie sérieusement l’option de frappes aériennes (avions de chasse ou drones) pour encourager sa contre-offensive. Interrogé sur la possibilité que la France se joigne à des frappes ciblées, le diplomate français botte en touche et préfère rappeler que Paris "n’a pas été sollicité par le gouvernement de Nouri al-Maliki". "Des frappes de drones ne suffiront pas à arrêter (les djihadistes)", poursuit le haut fonctionnaire. "La riposte doit s’inscrire dans le cadre d’un effort politique et de dialogue entre les communautés."

Pourtant, les récentes déclarations du Premier ministre Nouri al-Maliki et du grand ayatollah Ali al-Sistani appelant la population à prendre les armes contre les insurgés ne vont pas dans le sens de l’apaisement. Pour encourager ce dialogue, François Hollande multiplie ces jours-ci les entretiens avec les chefs d’État sunnites de la région. Il s’est entretenu mercredi avec le prince Mitaeb bin Abdallah d’Arabie saoudite (fils du roi Abdallah), rencontre vendredi le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et recevra lundi l’émir du Qatar Tamim ben Hamad al-Thani.

Objectif, que les trois puissances pèsent de tout leur poids sur la communauté sunnite d’Irak afin qu’elles se dissocient clairement des djihadistes de l’EIIL. "L’Arabie saoudite ne fera rien sans un plan garantissant une meilleure représentation des minorités sunnites et kurdes au pouvoir", prévient le diplomate. Or, le royaume Saoud est souvent pointé du doigt pour son laxisme, voire sa complicité, dans l’essor et le financement de l’EIIL, dont l’idéologie wahhabite est née en Arabie saoudite.

"À Paris, nous n’avons identifié aucun soutien étatique à ces groupes extrémistes", insiste le haut fonctionnaire. "Il existe effectivement des financements en provenance du Golfe (de personnalités, NDLR), mais pas seulement. Et il ne faut pas oublier que l’EIIL est implanté dans les zones pétrolifères en Syrie, et qu’il collecte toute une série d’impôts aux frontières." La prise de Mossoul le 10 juin dernier aurait d’ailleurs permis aux djihadistes de mettre la main sur un véritable pactole de 400 millions de dollars, détenus dans une banque de la ville.

Au Quai d’Orsay, on rappelle que le groupe terroriste est le "produit du régime de Bachar el-Assad". "C’est lui qui a libéré une grande partie de (ses) membres, alors qu’ils étaient détenus pour activités terroristes", affirme le ministère des Affaires étrangères. Fervent soutien de l’opposition syrienne modérée, qu’elle n’a pourtant jamais armée malgré ses promesses, la France attribue de plus en plus ouvertement l’impasse actuelle en Irak et en Syrie au spectaculaire revirement de Barack Obama sur les armes chimiques syriennes en septembre 2013.

"À la suite de cet épisode, les options se sont considérablement réduites en Syrie, déplore la source. L’Armée syrienne libre (opposition modérée) s’est disloquée en de nombreuses factions, ce qui a compliqué la situation sur le terrain." Et le diplomate de rappeler : "On a beaucoup alerté à Paris nos partenaires sur le fait que la non-prise en charge du conflit syrien constituait un danger pour toute la région. Les faits nous donnent raison."

(21-06-2014 - Armin Arefi)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire