samedi 2 juillet 2016

Moyen-Orient : Réconciliation autour du gaz entre Israël et la Turquie (Assawra)

Est-ce un hasard ? Le triple attentat du 28 juin au soir, à l'aéroport international Atatürk d'Istanbul (44 morts, dont 19 étrangers, et 260 blessés), survient en plein virage de la politique étrangère turque. Sous la pression de son allié américain, Recep Tayyip Erdogan a d'abord été obligé de prendre ses distances avec l'organisation État islamique qu'il ménageait en Syrie pour se concentrer sur la lutte contre le PKK kurde (Parti des travailleurs du Kurdistan). Ce premier virage à pas lents n'est pas étranger à la spirale de violence qui touche la Turquie depuis juin 2015 (11 attentats).
Ces derniers mois, de plus en plus isolé, Erdogan, l'islamiste, a pris langue avec Poutine avec lequel les relations étaient rompues depuis que l'aviation turque avait abattu un Mig russe à la frontière turco-syrienne en novembre. Ankara a présenté ses excuses à Moscou. Le président turc semble évoluer dans sa position intransigeante vis-à-vis de Bachar el-Assad et, cerise sur le gâteau, s'est réconcilié avec Israël, le 27 juin, à la veille de l'attentat à Istanbul. Retrouvailles turco-israéliennes et rapprochement turco-russe largement motivés par la nécessité pour Ankara de se fournir en gaz. Moscou avait mis fin aux exportations de gaz vers la Turquie après l'affaire de l'avion.
Du côté israélien, la rupture entre les deux pays date de 2010. L'attaque par la marine israélienne du bateau turc Mavi Marmara, affrété par des militants pro-palestiniens qui voulaient rompre le blocus israélien de Gaza, avait fait 10 morts parmi les activistes turcs. Ankara avait rompu ses relations diplomatiques avec son allié autrefois très proche.
Ces derniers mois, les deux capitales avaient toutes deux un intérêt évident à se retrouver pour sortir de leur isolement mutuel. Non seulement elles sont toutes deux en délicatesse avec leur allié américain (bien que celui-ci ait poussé à leur réconciliation pour les faire coopérer dans la lutte contre le terrorisme djihadiste), mais seuls pays non arabes de la région (avec l'Iran), la Turquie et Israël entretiennent une méfiance commune à l'égard du régime des mollahs. L'État hébreu aimerait, entre autres, voir se créer, autour de la Turquie, une coalition des pays arabes sunnites modérés contre Téhéran. C'est largement un fantasme, le président turc étant regardé avec suspicion par une majorité du monde arabe.
La première motivation de leur rapprochement tourne autour du gaz dont l'État hébreu va devenir un gros exportateur depuis la découverte d'un important gisement offshore en Méditerranée, le Leviathan. Ankara est demandeur de gaz. Jusqu'en décembre 2015, Moscou fournissait 56 % (chiffre 2014) du marché intérieur turc de gaz. Un projet de construction d'un gazoduc, le Turkish Stream, d'une capacité de 63 m3/an, devait commencer à distribuer du gaz russe à la Turquie (16 milliards de mètres cubes/an en pleine capacité), à travers la mer Noire, à la fin de cette année. Mais, en décembre 2015, en représailles à la destruction du chasseur russe par l'aviation turque, Poutine suspendait le projet du Turkish Stream.
Erdogan doit alors chercher des solutions autres que le gaz russe. Il se tourne d'abord vers le Qatar : le GNL (gaz naturel liquéfié) qatari coûte cher et ne peut suffire à remplacer, en volume, le gaz russe (27 milliards de m3/an). La Turquie regarde vers l'Azerbaïdjan d'où part le grand corridor gazier qui relie les côtes de la Caspienne au sud de l'Europe. Une source d'approvisionnement également insuffisante : l'accord signé prévoit que 6 milliards de mètres cubes de gaz azéri arriveront annuellement d'Azerbaïdjan en Turquie. Ankara cherche donc une troisième source d'approvisionnement pour compenser les 27 milliards de m3/an vendus par Moscou. Ce sera Israël.
Dès l'automne 2015, alors que les relations turco-russes s'enveniment et qu'Ankara se cherche de nouveaux partenaires dans le domaine énergétique, un haut fonctionnaire du ministère turc des Affaires étrangères et le chef du Mossad israélien se retrouvent secrètement à Genève. En décembre, un accord préliminaire sur le gaz est signé dans cette ville. Les deux pays, qui n'ont guère d'atomes crochus (alors que jusqu'aux années 2000, les relations militaires étaient très étroites entre Ankara et Tel-Aviv, et que les deux armées organisaient régulièrement des manœuvres communes) et s'opposent sur la question palestinienne, trouvent, avec le gaz, un terrain d'entente. Tel-Aviv veut faire de ses voisins égyptien et turc ses principaux acheteurs de gaz et vise le marché européen à partir de la Turquie.
Certes, les retrouvailles passent par des concessions politiques de part et d'autre. Israël met un préalable à l'ouverture de discussions pour la construction d'un oléoduc entre ses gisements off-shore et la Turquie : la reprise des relations diplomatiques entre les deux capitales. Erdogan s'incline. Le 22 juin dernier, Dore Gold, directeur général du ministre israélien des Affaires étrangères (l'homme de confiance de Netanyahu), rencontre son homologue turc, Feridun Sinirlioglu, à Rome. Les deux hommes finalisent les retrouvailles turco-israéliennes : outre la reprise des relations diplomatiques, Israël s'engage à créer un fonds de 18 millions de dollars pour indemniser les familles des 10 civils turcs tués sur le Mavi Marmara ; Ankara abandonne les poursuites judiciaires contre les militaires israéliens et accepte de ne plus accueillir sur son sol certains responsables du Hamas. Par contre, la Turquie n'obtient pas la levée de l'embargo israélien sur Gaza, mais elle va envoyer, via le port d'Ashdod, 10 000 tonnes d'aide humanitaire à Gaza.
Craignant d'être accusé de « trahison », Erdogan a téléphoné à Mahmoud Abbas, le président palestinien, afin de le rassurer avant l'annonce officielle de la réconciliation turque avec Israël, et a reçu Khaled Mechaal, le porte-parole de l'aile modérée du Hamas basé à Doha, au Qatar. Quant à Poutine, il pourrait reprendre ses livraisons de gaz et relancer la construction du Turkish Stream.

(02-07-2016 - Assawra avec les agences de presse)

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