11 heures tapantes, Béji Caïd Essebsi signe l'ordre qui missionne
Youssef Chahed de composer le futur gouvernement. La Constitution lui
accorde trente jours pour ce faire, un délai renouvelable une fois en
cas d'échec. Ça devrait aller vite, le nom de celui qui était l'actuel
ministre des Affaires locales circulait depuis le 3 juin, au lendemain
de l'annonce par BCE de son souhait de « former un gouvernement d'union
nationale ». À 41 ans, Youssef Chahed arrive au sommet de l'État avec
une bonne réputation. Cet expert en agriculture a su mener à bien la
création de nouvelles mairies afin que tous les Tunisiens soient
rattachés aux services d'une localité. Trois millions ne l'étaient pas.
D'un naturel discret, un atout dans le marigot politique tunisois,
Chahed a été repéré par BCE et son équipe sur la base de son travail
ministériel. Membre de Nidaa Tounes, le parti du candidat Essebsi, il a
su se faufiler entre les règlements de compte qui ont ensanglanté le
parti depuis le 1er octobre 2015. Une sorte de passe-muraille qui s'est
tenu à l'écart des rivalités entre Mohsen Marzouk, ex-SG du parti,
Hafedh Caïd Essebsi (le fils de BCE) et de beaucoup d'autres lames
politiques. Cette attitude le rend compatible avec les signataires de
l'accord de Carthage, soit neuf partis et un trio d'organisations
syndicales et patronale. Ennahda n'y voit aucune objection. Le parti
islamiste de Rached Ghannouchi cogère les affaires depuis les élections
législatives qui se sont tenues fin 2014.
L'équipe d'Habib Essid, ex-chef du gouvernement depuis que l'Assemblée
des représentants du peuple ne lui a pas renouvelé sa confiance le 30
juillet dernier, gérera les affaires courantes par ordre présidentiel
signé le 31 juillet. Le prochain visage gouvernemental sera différent.
Une dizaine de super-ministres entourera Chahed. De grands pôles seront
constitués (économie, éducation…). Chaque super-ministre gérera des
secrétaires d'État. L'idée maîtresse de cette physionomie ? Que le
nouveau locataire de la Kasbah puisse agir plus efficacement avec une
équipe réduite. Aux administrations de chaque ministère de s'adapter.
Dans une période de grand marasme économique, les défis que devra
relever Chahed sont nombreux. Trois gros chantiers sont identifiés : la
sécurité (la menace terroriste étant toujours latente), le redémarrage
de l'économie et la préparation du sommet qui se déroulera fin novembre à
Tunis. Bailleurs de fonds, chefs d'État et compagnie seront conviés
afin d'étudier le plan quinquennal orchestré par Yassine Brahim (actuel
ministre du Développpement). Manuel Valls, Premier ministre de la
France, effectuera une visite la veille de l'ouverture de ce grand raout
pour investisseurs. Il sera présent au matin du premier jour.
Considérées comme cruciales pour l'avenir du pays, ces 48 heures devront
être un succès. BCE a indiqué, dès sa campagne électorale, que ce
rendez-vous serait un enjeu majeur. En optant pour Chahed, la
présidence rajeunit le casting politique tunisien. Ce quadra a trois ans
pour réussir face à une population dépitée ou exaspérée de l'absence de
résultats sociaux. Lourde lettre de mission pour cette jeune pousse.
(03-08-2016 - Benoît Delmas)
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