mercredi 21 décembre 2011

Syrie : Un diplomate russe : "Le conflit doit être réglé entre Syriens"

"Une tuerie d’ampleur sans précédent". C’est en des termes particulièrement forts que la France à dénoncé la nouvelle journée noire qu’a vécue la Syrie mardi, après la mort de près de 120 personnes en un jour, soit près de 200 morts depuis lundi. Au-delà de la Syrie, c’est l’attitude de la Russie que condamne la France. Mercredi, à la veille de l’envoi à Damas d’une mission d’observateurs de la Ligue arabe acceptée par le régime baasiste, Paris a ainsi appelé Moscou à "accélérer" les négociations au Conseil de sécurité de l’ONU sur son projet de résolution. Celui-ci, présenté à la surprise générale il y a une semaine, proposait de condamner la violence commise aussi bien par les autorités que par les manifestants syriens. Premier conseiller politique à l’ambassade de Russie en France, Victor Kouznetsov explique au Point.fr le véritable sens de la position russe.

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Avec 5 000 morts en 10 mois, dont 120 rien que mardi, la France dénonce mercredi une "tuerie d’ampleur sans précédent en Syrie".
Mes collègues à New York sont entièrement conscients de la souffrance du peuple syrien ami et sont prêts à travailler nuit et jour sur le sujet. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que notre projet de résolution affirme que les autorités syriennes ont recours à un usage disproportionné de la force. Maintenant, il est nécessaire de dire que les Nations unies, qui affirment qu’il y a eu plus de 5 000 morts parmi les manifestants, n’évoquent pas les tués et les fonctionnaires syriens tués par des groupes d’extrémistes. Pourtant, le gouvernement syrien nous a informés du fait qu’il y avait déjà plus d’un millier de morts de son côté.
Amnesty International et Human Rights Watch font, eux aussi, état de faits accablants pour le gouvernement syrien. La position russe est-elle dès lors tenable ?
Il faut bien sûr mettre un terme à toutes ces violences, mais des deux côtés. Au début du conflit libyen, les données présentées par diverses ONG, y compris libyennes, ont été utilisées par les ONG internationales pour parler de "catastrophe humanitaire", ce qui a servi de prétexte à l’intervention de l’Otan. Or le directeur de l’Observatoire libyen des droits de l’homme a avoué que ces chiffres étaient faux. Cela me rappelle les armes de destruction massive de Saddam Hussein en Irak, inventées par les services de renseignements occidentaux. Nous ne souhaitons pas répéter en Syrie le scénario libyen, c’est-à-dire une intervention militaire aidant ouvertement un des camps dans un conflit intérieur.
Pour éviter la désinformation, il faudrait que Damas laisse entrer les ONG et les journalistes...
Justement, l’idée d’envoyer des observateurs va permettre de nous éclairer. Le gouvernement syrien n’est pas totalement fermé. Il a, par exemple, invité la chaîne américaine ABC, qui a pu interviewer Bachar el-Assad. Regardez ce qu’elle en a fait : une couverture totalement biaisée. Il est nécessaire d’écouter les deux parties. Dans nos contacts quotidiens avec Damas, nous incitons le gouvernement syrien à davantage d’ouverture. Cela a fonctionné au Yémen, où toute la communauté internationale s’est mobilisée pour faire asseoir autour d’une même table gouvernement et opposition. Au contraire, en Libye et en Syrie, certains préfèrent soutenir, parmi les forces en présence, celles qui leur sont le plus proches.
Le projet de résolution russe à l’ONU constitue-t-il une évolution de la position de Moscou ?
Notre but est de mettre un terme à la violence, d’où qu’elle vienne. Or nous avons été témoins ces derniers jours d’une recrudescence de celle-ci. C’est la raison pour laquelle la Russie a jugé utile de proposer un autre projet de résolution. La position russe est cohérente, et demeure dans la même lignée que celle exprimée à l’automne. Nous pensons que le conflit en Syrie doit être réglé par les Syriens eux-mêmes. Ainsi, la clé de ce projet est de pousser pouvoir et opposition au dialogue. On a beaucoup oeuvré à ce que Damas signe le protocole de la Ligue arabe, autorisant des observateurs à venir vérifier tout ce qui se passe sur place. Car, sans ces informations capitales, il nous est impossible d’émettre un jugement.

Est-il possible de placer sur un même plan les violences perpétrées par le gouvernement syrien et celles des manifestants ?
Que savons-nous de la réalité des faits ? Il faut que les observateurs et les masses médias puissent tout vérifier sur le terrain, de façon objective. Ce n’est parfois pas le cas. Par exemple, lorsqu’on entend dans les médias français des formules comme "la ville est tombée entre les mains des manifestants", cela paraît pour le moins bizarre, surtout de la part de manifestants pacifiques. À partir des jugements émis par les observateurs en Syrie, nous allons donc pouvoir prendre de nouvelles positions.
Certains analystes affirment qu’en acceptant d’accueillir des observateurs arabes après dix mois le gouvernement syrien ne cherche qu’à gagner du temps.
Il faut attendre les conclusions des observateurs, ce qui constituera le premier pas du plan de la Ligue arabe. La question est de savoir dans quelle mesure la Syrie va accepter le plan dans sa totalité, si elle retire ses forces et libère les prisonniers.
Le dialogue intersyrien ne semble plus à l’ordre du jour des manifestants.
On aurait pu obtenir le même résultat qu’au Yémen s’il y a dix mois la communauté internationale avait fait pression sur toutes les parties afin qu’elles dialoguent. Mais elle ne l’a pas fait, et a parlé dès le départ d’un régime syrien perdant sa légitimité. Puis elle a soutenu les revendications de l’opposition, qui, se sentant épaulée, a durci son langage.
La Russie également a noué des liens avec l’opposition syrienne.
Le chef du Conseil national syrien (qui rassemble les principaux courants de l’opposition syrienne, NDLR), Burhan Ghalioun, a effectivement été reçu à Moscou il y a quelques semaines par le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Nous l’avons vraiment écouté et nous avons apprécié ses approches sur le principe de non-ingérence étrangère. Nous les avons d’ailleurs présentées à plusieurs reprises aux autorités syriennes. Mais on constate aujourd’hui avec tristesse que Burhan Ghalioun, qui est pourtant très intelligent et pacifique, change de langage, parle d’une intervention militaire des pays arabes. C’est vraiment triste, car cela ne peut créer qu’une dynamique négative dans le règlement de la crise et agite de plus en plus le spectre d’une guerre civile, notamment entre communautés religieuses.
Votre position sur la crise syrienne s’explique-t-elle par les liens militaires qui vous lient à Damas ?
Les contrats militaires entre les deux pays ne sont pas si énormes. C’est plutôt la question fondamentale du droit international qui nous inquiète, comme la non-ingérence dans les affaires intérieures et l’intégrité territoriale, qui ont été bouleversées récemment. On ne laissera pas passer au Conseil de sécurité de l’ONU des documents avec des formulations vagues, comme cela a pu être le cas avec la Libye.

La Russie possède également en Syrie une base navale à Tartous, point d’entrée stratégique sur la mer Méditerranée.
Je ne suis pas un spécialiste militaire, mais ces questions ne prévalent pas, non seulement dans notre coopération avec la Syrie, mais aussi dans notre analyse de la situation actuelle.
Que pensez-vous de la proposition française de créer en Syrie des corridors humanitaires afin que la population s’y réfugie ?
Cette idée a été brièvement évoquée par la France il y a quelques semaines en tant qu’éventualité. On n’en parle plus depuis un certain moment. Il faut, je le répète, vérifier la situation humanitaire sur place par le biais des observateurs de la Ligue arabe. En tout cas, il ne fait aucun doute que le gouvernement syrien a l’obligation de laisser à tous un libre accès aux soins médicaux et à l’alimentation.
L’arrivée récente d’un navire russe en mer Méditerranée vise-t-elle à empêcher toute future intervention étrangère en Syrie ?
Cette présence en mer Méditerranée n’a strictement aucun lien avec la situation en Syrie. Il s’agit d’un entraînement prévu de longue date. De toute façon, nos partenaires occidentaux, dont la France, nous répètent chaque jour que la Syrie n’est pas la Libye et qu’ils n’ont aucun projet d’intervention militaire, et on les croit.
( Propos recueillis par Armin Arefi )

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