La mort de Shimon Peres voit disparaître le dernier grand témoin de
l'un des épisodes les moins connus du XXe siècle : la fourniture à
Israël par la France des moyens de fabriquer l'arme atomique. Nous
sommes à la fin des années 1950. La IVe République soutient avec
vigueur le jeune État, en acceptant de lui fournir des quantités
d'armements. Cette aide portera dans un premier temps sur des armes
conventionnelles. Dès 1952, alors que Shimon Peres est directeur au
ministère de la Défense israélien, il est envoyé à Paris pour
acheter des armes. Il doit convaincre tous les échelons de
l'administration et s'y emploie avec son acolyte Joseph Nahmias,
représentant permanent du ministère israélien de la Défense dans la
capitale française, raconte l'historien Michel Bar Zohar dans sa
thèse de 1963 sur les relations franco-israéliennes. « Ils
parcouraient l'armée française, nouaient des liens d'amitié avec de
nombreux officiers, tant supérieurs que subalternes, avec l'espoir
d'obtenir leur aide, le jour venu. Ils s'attaquaient aussi aux
hommes politiques, aux partis au pouvoir et à ceux de l'opposition,
à leurs chefs et aux jeunes cadres. Les fonctionnaires des divers
ministères, de la présidence du Conseil, du ministère de la Défense,
de l'Intérieur et même du quai d'Orsay n'étaient pas épargnés non
plus. Les années 1954-1955 devenaient le cadre d'un immense effort
presque clandestin, où aucune possibilité, aucune chance ne devait
être négligée ».
Shopping list
La shopping list israélienne, que Shimon Peres tend alors à ses
interlocuteurs français, est un long catalogue des armements les
plus modernes. Il veut pratiquement acheter tout ce que l'industrie
française produit, dont mille lance-roquettes, cent chars AMX 13,
quarante obusiers automoteurs de 105 mm ainsi que les premiers
avions à réaction produits par Dassault : soixante Mystère IV-A
autant de biplaces Mystère IV-B, vingt-quatre Ouragan. Et encore
douze Vautour fabriqués par la SNCASO, etc.
Représentant du ministère de la Défense au comité restreint mis en
place par le gouvernement de Guy Mollet pour soutenir militairement
Israël, Abel Thomas, directeur de cabinet du ministre de la défense
Maurice Bourgès-Maunoury, évoque dans ses mémoires Comment Israël
fut sauvé (1978) la journée du 24 avril 1956. Shimon Peres entre
dans son bureau « par une porte dérobée comme un discret ami
personnel pour ne pas alerter gendarmes mobiles et aides de camp de
la rue Saint-Dominique. J'étais en mesure de lui donner des
informations optimistes sur le sort qui pouvait être réservé à ses
demandes. (…) Nous prîmes alors le temps, les principes étant
réglés, d'évoquer des perspectives plus précises. On sentait que
Shimon Peres cherchait ce qui pourrait nous être agréable en échange
des certitudes d'armement, donc de la sauvegarde de l'existence
d'Israël, que nous venions de lui promettre. »
La promesse
Ce qu'Abel Thomas ne précise pas, c'est que cette « promesse »
française, ce ne sont pas des armements classiques mais bien la
bombe atomique. Le secret est alors total et ne sera évoqué
précisément qu'en 1983 par le journaliste Pierre Péan dans son
ouvrage Les Deux Bombes. Dès avant l'échec de l'opération
Mousquetaire visant à reprendre le contrôle du canal de Suez et
associant Français, Britanniques et Israéliens, Paris et Tel-Aviv
ont formellement conclu un accord de coopération nucléaire, mis au
point par Shimon Peres. C'est l'époque où Guy Mollet déclare,
rapporte Péan : « Je leur dois la bombe… Il faut faire contrepoids à
l'Égypte. La masse qui fait contrepoids, c'est Israël avec la bombe…
»
Dès cette époque, Israël va bénéficier d'un soutien nucléaire total
de la France pour mettre en œuvre sa centrale nucléaire de Dimona.
La coopération est scellée en présence de David Ben Gourion et de
Shimon Peres lors d'une conférence secrète tenue à Sèvres du 22 au
24 octobre 1956, pour peaufiner l'accord opérationnel sur Suez.
Shimon Peres précise dans ses mémoires (1995) : « Avant la signature
finale, j'ai demandé à Ben Gourion une brève suspension de séance,
durant laquelle j'ai parlé seul avec Mollet et Bourgès-Maunoury.
C'est alors que j'ai finalisé avec ces deux leaders un accord pour
la construction d'un réacteur nucléaire à Dimona, et pour la
fourniture de l'uranium pour le faire fonctionner. » Une douzaine
d'années plus tard, la bombe nucléaire israélienne était prête. Pour
la tirer, il fallait un vecteur. À la demande du général de Gaulle,
c'est la société Dassault qui s'en chargera. Elle fournira à Israël
le missile MD 620 Jericho, d'une portée de 500 kilomètres. Shimon
Peres pouvait alors dire : mission accomplie.
Israël ne fut pas un partenaire ingrat. L'institut Weizmann, très
avancé en matière informatique, fournit à Paris le calculateur
permettant de définir les paramètres techniques de la bombe
française, que les États-Unis refusaient de lui vendre.
(30-09-2016
- par Jean Guisnel)
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