dimanche 2 octobre 2016

Israël/Palestine : Quand Shimon Peres achetait en France la bombe nucléaire ( Jean Guisnel)

La mort de Shimon Peres voit disparaître le dernier grand témoin de l'un des épisodes les moins connus du XXe siècle : la fourniture à Israël par la France des moyens de fabriquer l'arme atomique. Nous sommes à la fin des années 1950. La IVe République soutient avec vigueur le jeune État, en acceptant de lui fournir des quantités d'armements. Cette aide portera dans un premier temps sur des armes conventionnelles. Dès 1952, alors que Shimon Peres est directeur au ministère de la Défense israélien, il est envoyé à Paris pour acheter des armes. Il doit convaincre tous les échelons de l'administration et s'y emploie avec son acolyte Joseph Nahmias, représentant permanent du ministère israélien de la Défense dans la capitale française, raconte l'historien Michel Bar Zohar dans sa thèse de 1963 sur les relations franco-israéliennes. « Ils parcouraient l'armée française, nouaient des liens d'amitié avec de nombreux officiers, tant supérieurs que subalternes, avec l'espoir d'obtenir leur aide, le jour venu. Ils s'attaquaient aussi aux hommes politiques, aux partis au pouvoir et à ceux de l'opposition, à leurs chefs et aux jeunes cadres. Les fonctionnaires des divers ministères, de la présidence du Conseil, du ministère de la Défense, de l'Intérieur et même du quai d'Orsay n'étaient pas épargnés non plus. Les années 1954-1955 devenaient le cadre d'un immense effort presque clandestin, où aucune possibilité, aucune chance ne devait être négligée ».

Shopping list
La shopping list israélienne, que Shimon Peres tend alors à ses interlocuteurs français, est un long catalogue des armements les plus modernes. Il veut pratiquement acheter tout ce que l'industrie française produit, dont mille lance-roquettes, cent chars AMX 13, quarante obusiers automoteurs de 105 mm ainsi que les premiers avions à réaction produits par Dassault : soixante Mystère IV-A autant de biplaces Mystère IV-B, vingt-quatre Ouragan. Et encore douze Vautour fabriqués par la SNCASO, etc.
Représentant du ministère de la Défense au comité restreint mis en place par le gouvernement de Guy Mollet pour soutenir militairement Israël, Abel Thomas, directeur de cabinet du ministre de la défense Maurice Bourgès-Maunoury, évoque dans ses mémoires Comment Israël fut sauvé (1978) la journée du 24 avril 1956. Shimon Peres entre dans son bureau « par une porte dérobée comme un discret ami personnel pour ne pas alerter gendarmes mobiles et aides de camp de la rue Saint-Dominique. J'étais en mesure de lui donner des informations optimistes sur le sort qui pouvait être réservé à ses demandes. (…) Nous prîmes alors le temps, les principes étant réglés, d'évoquer des perspectives plus précises. On sentait que Shimon Peres cherchait ce qui pourrait nous être agréable en échange des certitudes d'armement, donc de la sauvegarde de l'existence d'Israël, que nous venions de lui promettre. »

La promesse
Ce qu'Abel Thomas ne précise pas, c'est que cette « promesse » française, ce ne sont pas des armements classiques mais bien la bombe atomique. Le secret est alors total et ne sera évoqué précisément qu'en 1983 par le journaliste Pierre Péan dans son ouvrage Les Deux Bombes. Dès avant l'échec de l'opération Mousquetaire visant à reprendre le contrôle du canal de Suez et associant Français, Britanniques et Israéliens, Paris et Tel-Aviv ont formellement conclu un accord de coopération nucléaire, mis au point par Shimon Peres. C'est l'époque où Guy Mollet déclare, rapporte Péan : « Je leur dois la bombe… Il faut faire contrepoids à l'Égypte. La masse qui fait contrepoids, c'est Israël avec la bombe… »
Dès cette époque, Israël va bénéficier d'un soutien nucléaire total de la France pour mettre en œuvre sa centrale nucléaire de Dimona. La coopération est scellée en présence de David Ben Gourion et de Shimon Peres lors d'une conférence secrète tenue à Sèvres du 22 au 24 octobre 1956, pour peaufiner l'accord opérationnel sur Suez. Shimon Peres précise dans ses mémoires (1995) : « Avant la signature finale, j'ai demandé à Ben Gourion une brève suspension de séance, durant laquelle j'ai parlé seul avec Mollet et Bourgès-Maunoury. C'est alors que j'ai finalisé avec ces deux leaders un accord pour la construction d'un réacteur nucléaire à Dimona, et pour la fourniture de l'uranium pour le faire fonctionner. » Une douzaine d'années plus tard, la bombe nucléaire israélienne était prête. Pour la tirer, il fallait un vecteur. À la demande du général de Gaulle, c'est la société Dassault qui s'en chargera. Elle fournira à Israël le missile MD 620 Jericho, d'une portée de 500 kilomètres. Shimon Peres pouvait alors dire : mission accomplie.

Israël ne fut pas un partenaire ingrat. L'institut Weizmann, très avancé en matière informatique, fournit à Paris le calculateur permettant de définir les paramètres techniques de la bombe française, que les États-Unis refusaient de lui vendre.


(30-09-2016 - par Jean Guisnel)

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