Une oeuvre de l'artiste syrienne Yara Said, exposée au Café Zeriab, à Damas (Afp)
Dans un café traditionnel au coeur de Damas, de jeunes Syriens posent leur regard sur des peintures, des sculptures et des photographies évoquant le désespoir de leur pays en guerre. Seuls absents? Les artistes eux-mêmes.
Avant de fuir la guerre meurtrière qui déchire leur pays depuis plus de cinq ans, les artistes ont confié leurs travaux à Bernar Jomaa qui organise dans son café Zeriab une exposition, baptisée "Et ils sont partis".
Une fois qu'il a fini d'arranger l'espace dédié aux sculptures de Sara Khatib, Bernar Jomaa, 39 ans, appelle l'artiste via Skype pour lui montrer sa section de l'exposition.
Réfugiée au Danemark depuis 2012, Mme Khatib, 29 ans, se met à pleurer en revoyant une sculpture en pierre représentent une femme qui s'enlace.
"Je suis très émue à l'idée de l'exposition. Je n'ai pas pu retenir mes larmes quand j'ai vu mon travail exposé contre un vieux mur de Damas", confie-t-elle à l'AFP.
"Je n'ai pas pu emmener mes travaux au Danemark et je ne le voulais pas de toute façon. Je voulais laisser une partie de moi à Damas", explique-t-elle.
La guerre a déplacé à l'intérieur de la Syrie, mais aussi à l'étranger, la moitié des quelque 23 millions d'habitants que comptait le pays avant mars 2011.
Aujourd'hui, une vingtaine d'oeuvres de 15 artistes vivant désormais en exil sont exposées dans ce café très fréquenté, au coeur de la vieille ville de la capitale syrienne.
- "L'absence dit tout" -
"J'avais accumulé ces dernières années des pièces d'artistes qui ont fui la Syrie sans leurs oeuvres. J'ai rassemblé tout ce travail oublié et monté une exposition (...) ", raconte M. Jomaa.
Les yeux de Yazan Kelesh, 23 ans, s'arrêtent sur une photographie où huit enfants, las de la guerre, esquissent un sourire tendu.
"D'ordinaire, les artistes sont présents pour en expliquer davantage sur leur travail. Mais leur absence aujourd'hui dit tout de l'ampleur de la souffrance et de la peine causées par l'exil de tant de jeunes, parmi eux beaucoup d'artistes", dit-il à l'AFP.
De toutes ces oeuvres se dégage une sorte de tristesse usée, abîmée même. Sur l'une d'elles, on voit deux créatures aux visages floutés, quasi absents, s'étreindre. A côté d'elles, le portrait d'un homme, le visage ridé, en berne.
La nostalgie ressort également de certains travaux, comme cette photographie qui montre la place historique de Bab Touma à Damas "avant qu'elle ne soit envahie de barrages", commente Mayss, 31 ans.
- "Obstacles et dangers" -
Damas a été relativement épargnée par les violences mais les jeunes y souffrent du chômage et des prix exorbitants, un sujet souvent au coeur des grandes discussions autour d'un café ou d'un narguilé les après-midi au Zeriab.
Dans un coin du café, une grande photographie en noir et blanc montre une femme fatiguée appuyée sur une planche de bois, les yeux fermés et la tête entre les mains.
Le photographe, Rami Skeif, figure parmi des milliers de Syriens ayant effectué fin 2015 la dangereuse traversée de la Méditerranée pour rejoindre l'Europe, avec son épouse et sa jeune fille.
"Nous avons dû monter à bord d'une petite embarcation pour une partie du voyage et nous ne pouvions emmener que l'essentiel", explique à l'AFP M. Skeif, 40 ans, par écrit depuis la Suède.
"Je n'ai pas pu emmener mes travaux, le voyage était plein d'obstacles et de dangers, par terre et mer, c'est pourquoi je les ai laissés en Syrie avec mon ami Bernar".
Un visiteur scrute la photo. "Ce sont les oeuvres d'artistes qui sont partis, mais mes peintures à moi ont toutes disparues", raconte ce jeune homme qui n'a pas voulu donner son nom.
Il dit avoir dû laisser ses travaux chez lui dans un quartier de la banlieue est de Damas, alors que les rebelles avançaient sur le secteur. "Et tout a été volé."
(08-10-2016 - Assawra avec les agences de presse)
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