Les terribles frappes au Yémen samedi, attribuées à l'Arabie Saoudite,
mettent les Etats-Unis dans l'embarras et sapent leurs efforts en Syrie
pour faire pression sur Moscou accusé du même type de carnage.
Washington est un allié militaire historique de la pétromonarchie
saoudienne et, malgré le très net refroidissement de leur relation, il
lui fournit renseignements, munitions et aide logistique dans le conflit
yéménite.
Cette guerre oppose depuis mars 2015 une coalition arabe pilotée par
Ryad à des rebelles Houthis alliés à l'ancien président du Yémen Ali
Abdallah Saleh et soutenus par l'Iran.
Samedi, des frappes aériennes ont touché une grande cérémonie funéraire
dans la capitale Sanaa contrôlée par les Houthis chiites, faisant plus
de 140 morts et un demi-millier de blessés et mettant de nouveau en
accusation l'Arabie Saoudite pour le nombre très élevé de victimes
civiles.
"Ce raid est, semble-t-il, la goutte qui a fait déborder le vase",
estime Philippe Bolopion, de l'organisation américaine de défense des
droits de l'homme Human Rights Watch (HRW). Les alliés de l'Arabie Saoudite "se sont réveillés devant la réalité de la guerre au Yémen",
explique l'expert à l'AFP.
De fait, le bain de sang a été dénoncé par Washington, Paris, Londres et l'ONU, ainsi que par Téhéran et Damas.
Surtout, les Etats-Unis ont annoncé le réexamen de leur soutien à la
coalition arabe qui avait déjà été réduit ces derniers mois, la Maison
Blanche avertissant que "la coopération sécuritaire des Etats-Unis avec
l'Arabie Saoudite n'était pas un chèque en blanc".
Les relations américano-saoudiennes subissent un coup de froid depuis
deux ans et l'amorce de dégel historique entre Washington et Téhéran, le
grand rival chiite de la monarchie sunnite dans le Golfe.
Ce n'est pas la première fois que les Etats-Unis critiquent l'Arabie Saoudite pour les victimes civiles du conflit yéménite.
Mais leurs admonestations sont montées d'un cran dimanche quand le
secrétaire d'Etat John Kerry a décroché son téléphone pour exprimer "sa
profonde préoccupation" au vice-prince héritier saoudien Mohammed ben
Salmane en le pressant de "prendre immédiatement les mesures nécessaires
pour s'assurer qu'un tel incident ne se reproduise pas".
Aux yeux de Simon Henderson, analyste au Washington Institute, les
Américains "sont furieux contre les Saoudiens pour leurs bombardements à
l'aveugle" et le raid de samedi "a tout l'air d'une tentative délibérée
par l'Arabie Saoudite de tuer le plus de responsables Houthis
possible".
Mais la colère des Etats-Unis cache mal leur embarras vis-à-vis de leurs
alliés saoudiens auxquels ils ont encore vendu en août, pour 1,15
milliard de dollars, 150 chars et des centaines de mitrailleuses
lourdes.
Non seulement Ryad a toujours été pour Washington un contre-poids à
l'influence iranienne dans la région, mais la monarchie sunnite est en
outre du côté de l'Amérique dans la guerre en Syrie, apportant son
soutien à l'opposition syrienne contre le régime de Bashar
al-Assad.
Le massacre de samedi au Yémen est survenu au moment où Washington a
nettement haussé le ton contre la Russie et son allié syrien, M. Kerry
ayant même réclamé une enquête pour "crimes de guerre" en raison du
déluge de feu sur Alep, la grande ville martyre du nord de la Syrie.
Pour les Etats-Unis, "la situation est devenue intenable", juge M. Bolopion de HRW.
Pour autant, David Weinberg, membre du centre de recherches conservateur
Foundation for Defense of Democracies, exhorte Washington à ne pas
céder au "tout ou rien" en coupant les ponts avec son allié militaire
saoudien.
L'expert rappelle que l'opération saoudienne vise à rétablir l'autorité
du président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi, renversé par des Houthis
aux cris de "mort à l'Amérique et à Israël, malheur aux Juifs et
victoire à l'islam".
"Les Etats-Unis sortiraient affaiblis d'un retrait précipité de leur
appui à la mission saoudienne au Yémen", pense M. Weinberg, tout en
reconnaissant que "la manière dont les Saoudiens font la guerre au Yémen
ne sied pas aux intérêts américains".
(11-10-2016)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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