En une semaine, le conflit au Yémen a connu une escalade majeure, suivie
de signes d'apaisement qui pourraient présager une reprise des
négociations. Le coût de la guerre de plus en plus intenable pour les
belligérants serait l'une des explications, selon des experts.
"Je suis optimiste pour la simple raison que les parties ne veulent pas
poursuivre un conflit qui leur coûte cher" humainement, financièrement
et en termes d'image, estime Mustafa Alani, spécialiste des questions de
sécurité au Gulf Research Center basé à Genève. Selon lui, les
belligérants subissent "une énorme pression pour trouver une stratégie
de sortie" car "ils sont conscients de leur incapacité à atteindre une
victoire parfaite" par les armes. Depuis mars 2015, la guerre au Yémen
oppose le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu par
une coalition militaire arabo-sunnite sous commandement saoudien, à des
rebelles chiites houthis pro-iraniens, alliés à des forces fidèles à
l'ex-chef d'État Ali Abdallah Saleh. Le conflit a fait près de 6 900
morts, selon l'ONU.
Les rebelles contrôlent la capitale Sanaa et des régions du nord - leur
berceau historique -, de l'ouest et du centre du pays. Les forces
pro-Hadi ont reconquis des zones du Sud, mais peinent à progresser en
dépit d'une campagne aérienne intensive de la coalition arabe, qui a
fait de nombreuses victimes collatérales. Le 8 octobre, un raid aérien
de cette coalition menée par Riyad a fait, selon l'ONU, 140 morts et 525
blessés lors d'une cérémonie funéraire à Sanaa, un carnage qui a marqué
une nouvelle escalade impliquant les Américains, alliés des Saoudiens.
Les 9 et 12 octobre, les rebelles yéménites ont été accusés d'avoir tiré
des missiles sur des navires de guerre américains en mer Rouge, ce qui a
entraîné pour la première fois une intervention contre eux des
États-Unis qui ont fait usage de missiles de croisière sur des sites de
radars.
Selon François Heisbourg, conseiller à la Fondation pour la recherche
stratégique à Paris, les rebelles ont juste voulu montrer à Washington
qu'il y avait "un prix à payer" pour son soutien à l'Arabie Saoudite,
mais les États-Unis, qui sont dans une période de transition, ne
devraient pas aller au-delà de frappes ponctuelles. Dans la nuit du 15
au 16 octobre, des responsables américains de la Défense se sont
d'ailleurs montrés prudents quant à la nature d'éventuels nouveaux tirs
de missile.
Quelques heures plus tôt, un coup de théâtre avait marqué une première
désescalade : la coalition pro-saoudienne qui, dans un premier temps,
avait nié toute responsabilité dans le carnage du 8 octobre à Sanaa a
admis - fait rarissime - une énorme bavure commise "sur la base
d'informations erronées". Elle a annoncé des "compensations" pour les
familles des victimes "civiles". Un peu plus tard, on apprenait que plus
de 100 personnes blessées lors des frappes à Sanaa étaient évacuées,
avec deux otages américains, vers le sultanat d'Oman qui joue souvent un
rôle d'intermédiaire entre les Houthis et l'Iran chiite d'une part, et
ses voisines du Golfe, les monarchies arabo-sunnites, de l'autre.
Les rebelles chiites houthis au Yémen ont réclamé "une enquête
internationale indépendante" sur "des crimes de guerre" de la coalition
militaire arabe qui les combat et qui vient d'admettre une bavure après
le carnage de Sanaa. Les résultats de l'enquête "n'innocentent pas" la
coalition de "sa violation du droit international humanitaire", ont
annoncé les rebelles sur leur site sabanews.net en citant "un
responsable du ministère des Affaires étrangères". Ce responsable a
appelé le secrétaire général de l'ONU à "former rapidement une
commission d'enquête internationale indépendante (...) sur les crimes de
guerre commis au Yémen par la coalition". "Ceux qui ont soutenu ou
perpétré ces crimes ne resteront pas dans l'impunité", a-t-il encore
assuré.
Dernier signe d'apaisement : l'avion omanais, qui a évacué les blessés
yéménites et deux Américains libérés par les Houthis, avait auparavant
ramené une délégation rebelle qui était bloquée depuis début août à
Mascate en raison du blocus aérien imposé par la coalition à Sanaa.
Cette délégation avait participé à des pourparlers de paix
inter-yéménites qui s'étaient achevés à Koweït, sans succès. Vendredi,
le Royaume-Uni a annoncé qu'il présenterait un projet de résolution au
Conseil de sécurité de l'ONU "appelant à l'arrêt immédiat des hostilités
et à une reprise du processus politique", parallèlement à l'accès à
l'aide humanitaire.
À la veille du carnage à Sanaa, le médiateur de l'ONU Ismaïl Ould Cheikh
Ahmed avait évoqué la possibilité d'une trêve de 72 heures
renouvelable. "Il y a une pression énorme à l'intérieur et à l'extérieur
du Conseil de sécurité" pour que les belligérants reprennent les
négociations, souligne Alani. Mais, jusqu'ici, la principale pierre
d'achoppement a été la résolution 2216 (avril 2015), qui exige le
retrait des rebelles des territoires conquis depuis l'été 2014 et la
restitution des armes. "Les Houthis ne sont pas prêts à appliquer la
2216 car ils s'estiment traités injustement", relève Alani.
Parallèlement, cette résolution ne dispose pas de mécanismes
d'application contraignants, dont une date butoir. Selon lui, "c'est la
raison pour laquelle il y a cette impasse et le maintien (par la
coalition) d'une pression militaire et économique pour que (les
rebelles) acceptent une bonne partie de la résolution, pas
nécessairement tout".
(16-10-2016)
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