Nathan T. (Le prénom a été modifié) est un juge militaire. Béret
soigneusement plié sous le galon de son épaule gauche, ce colonel
israélien né en France préside la Cour d'appel de Judée-Samarie. Il
maîtrise parfaitement les rouages de la détention préventive, l'un des
piliers de la lutte antiterroriste israélienne. Depuis quelques mois, le
juge reçoit la visite de nombreux responsables politiques de la droite
française : Georges Fenech, Roger Karoutchi ou encore Pierre Lellouche –
trois soutiens de Nicolas Sarkozy – sont venus cet été étudier en
détail ce mécanisme administratif et judiciaire. Même les centristes s'y
mettent ! La semaine dernière, le juge a reçu la visite d'Hervé Morin
(Nouveau Centre), soutien de Bruno Le Maire. L'ancien ministre de la
Défense, devenu président de la région Normandie, qui plaide depuis
juillet pour une « israélisation de la sécurité », est lui aussi
convaincu qu'une détention préventive à la française est possible, sans
devoir renoncer à l'État de droit : « Ce système peut largement être
transposé dans le droit français dès lors qu'il fait l'objet d'un
contrôle par le juge dans son application », défend Hervé Morin, qui a
été confronté au terrorisme dans sa région avec l'assassinat du père
Hamel.
Imminence d'un danger
« Loups solitaires, attaques de lieux de culte, de policiers, de
terrasses, de salles de concert..., la France connaît le même spectre
d'attaques terroristes que l'on voit ici », avance le magistrat
israélien, avant de détailler la philosophie du système. « Personne ne
peut prétendre savoir ce qui va se passer à l'avance. En revanche, on
peut avoir des sources de renseignements qui vous indiquent l'imminence
d'un danger », avance-t-il. Et de poursuivre avec l'exemple – classique –
de services de renseignements interceptant une conversation où un
individu surveillé explique à son interlocuteur qu'il part, qu'il va
devenir martyr, et lui confie son testament. « Il y a un risque
imminent, nous devons donc l'interpeller. À partir de ce moment, nous
aurons vingt-quatre heures pour le déférer devant un juge judiciaire. Si
ce délai ne permet pas de récolter des preuves judiciaires, nous
basculerons, avec l'accord du ministre de la Défense, sur une procédure
administrative. Nous disposerons alors de quarante-huit heures pour le
déférer devant un tribunal administratif. »
Preuves secrètes
Cette cour est habilitée à étudier les preuves secrètes « multiples et
crédibles » produites par les services de renseignements. Limite du
système : ces preuves secrètes ne peuvent être produites directement
devant la défense de l'accusé. Elles sont donc « paraphrasées » par les
services de renseignements et communiquées à un avocat assermenté qui en
transmet à son tour le contenu à l'avocat de la défense. La peine
prononcée ne peut excéder les six mois, renouvelables. « Au final, les
détentions excèdent rarement plus de deux ans », explique le juge, qui
refuse toute comparaison avec Guantánamo : « Guantánamo est né d'une
situation extra-légale. Ici, nous avons une procédure législative
rigoureuse, avec des preuves, des avocats et des recours possibles pour
tous les condamnés. On est très loin de l'arbitraire », avance le juge.
Empêcher le passage à l'acte
La détention préventive israélienne n'a pas vocation à neutraliser à vie
toute personne considérée comme potentiellement dangereuse. Elle permet
uniquement d'empêcher un passage à l'acte et de gagner du temps pour
régler la situation. « En l'état actuel, le droit français place souvent
les services de renseignements face à un dilemme : agir et risquer la
situation extra-légale ou attendre l'apparition de preuves juridiques et
risquer un passage à l'acte... » explique Nathan T. Le nombre de
personnes incarcérées préventivement en Israël varie au gré des tensions
et des attaques. En mai 2014, près de 200 personnes étaient en
détention préventive. En juin 2014, elles étaient près de 450, avant de
passer à 370 fin 2015. Aujourd'hui, 629 personnes sont en rétention
administrative. Après sa rencontre avec le juge Nathan T., Hervé Morin
rêve d'une grande loi antiterroriste en France : détention préventive,
autorisation du port d'arme pour les policiers et militaires retraités,
décloisonnement des services de renseignements... Certains désirs de
réformes prennent des airs de révolution.
(28-10-2016
- Par Clément Pétreault)
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