Depuis le début de la guerre en
Syrie, la Turquie sert de terre d’accueil pour les réfugiés syriens,
mais surtout de base arrière pour les rebelles de l’Armée syrienne
libre. Dans cette région essentiellement agricole, certains Turcs
profitent très avantageusement de cette situation frontalière. Avec
quelques affaires juteuses à la clé. Comme à Haçipaça, une localité à
flanc de montagne, entourée de vergers où les grenadiers croulent sous
le poids des fruits bien mûrs que personne ne semble venir cueillir.
Devant nous, un sentier de terre rouge barré par des barbelés. De
l’autre côté, la Syrie. Par endroits, la clôture est détruite
volontairement pour permettre les franchissements illégaux de frontière.
"Il y a plus de deux cents Syriens qui passent chaque jour par ce trou que vous voyez dans la clôture", explique Ahmet, propriétaire des lieux. "Avec les obus qui peuvent tomber sur nos villages, je n’ose plus trop m’aventurer dans mes vergers. Surtout pour ce que me rapportent les grenades !" En costume et souliers cirés, ce quadragénaire, très élégant pour un agriculteur, continue de venir sur ses terres. Mais pour une tout autre activité. "Je suis devenu passeur", chuchote-t-il, alors que les lieux sont déserts. "J’aide des civils turcs et syriens qui viennent voir de la famille, des soldats de l’Armée libre qui font passer des vivres et de la logistique, et aussi les médias étrangers à qui je prends 300 dollars par personne, par passage. On passe aux heures où l’armée turque change ses gardes-frontières."
Cette activité est encore plus lucrative pour les Syriens. De l’autre côté des barbelés, Alaa est lui aussi passeur. Avec son look d’adolescent, le sourire aux lèvres et le portable à la main, il raconte : "Avant la guerre, j’étais agriculteur. Aujourd’hui, j’ai changé de métier. Je me fais plus de 300 dollars par jour et gagne bien ma vie grâce aux journalistes !" lance-t-il avec ironie du haut de ses 27 ans.
Dans un autre village turc frontalier, Reyhanli, le paysage a des allures de terrain vague. Ici, des maisons en construction, inachevées. Là, d’autres aux volets fermés. Peu semblent habitées. Les Turcs les ont quittées, préférant les louer à prix d’or à des Syriens de l’Armée libre. L’un d’eux, un jeune étudiant d’Alep qui a rejoint l’ASL, accepte de parler : "Je loue cette maison avec cinq autres personnes pour 500 livres par mois (250 euros). Plus du double du prix normal ! Mais je n’ai pas le choix. Je dois être près de la frontière pour nos activités, et ici, c’est discret, car les Turcs sont partis en ville, craignant les obus."
Dans ce village, un logement se loue en temps normal 280 livres. Une bonne marge, donc, pour les loueurs. Comme Onur, commerçant, qui avoue se faire des bénéfices bien plus importants que lorsqu’il travaillait dans son épicerie. "La frontière est une zone de maquis. C’est par là que l’Armée libre achemine tout ce qu’il faut pour les rebelles qui combattent à Harem", précise-t-il. Avant de lâcher, d’un air gêné, "comme en plus ils ont besoin de vivres, ça me permet d’écouler mon stock... J’avoue que leur présence est pour moi un bon business !" Avec ses "rentes", il est fier de dire qu’il peut louer une belle maison en ville, à l’abri d’éventuels obus.
Ahmet, Alaa et Onur font cependant figure d’exceptions. Des deux côtés de la frontière, la guerre a coupé net l’activité agricole, les terres abritant davantage de tanks et de réfugiés que de tracteurs et de paysans.
(Vendredi, 5 avril 2013 - Pauline Garaude)
"Il y a plus de deux cents Syriens qui passent chaque jour par ce trou que vous voyez dans la clôture", explique Ahmet, propriétaire des lieux. "Avec les obus qui peuvent tomber sur nos villages, je n’ose plus trop m’aventurer dans mes vergers. Surtout pour ce que me rapportent les grenades !" En costume et souliers cirés, ce quadragénaire, très élégant pour un agriculteur, continue de venir sur ses terres. Mais pour une tout autre activité. "Je suis devenu passeur", chuchote-t-il, alors que les lieux sont déserts. "J’aide des civils turcs et syriens qui viennent voir de la famille, des soldats de l’Armée libre qui font passer des vivres et de la logistique, et aussi les médias étrangers à qui je prends 300 dollars par personne, par passage. On passe aux heures où l’armée turque change ses gardes-frontières."
Cette activité est encore plus lucrative pour les Syriens. De l’autre côté des barbelés, Alaa est lui aussi passeur. Avec son look d’adolescent, le sourire aux lèvres et le portable à la main, il raconte : "Avant la guerre, j’étais agriculteur. Aujourd’hui, j’ai changé de métier. Je me fais plus de 300 dollars par jour et gagne bien ma vie grâce aux journalistes !" lance-t-il avec ironie du haut de ses 27 ans.
Dans un autre village turc frontalier, Reyhanli, le paysage a des allures de terrain vague. Ici, des maisons en construction, inachevées. Là, d’autres aux volets fermés. Peu semblent habitées. Les Turcs les ont quittées, préférant les louer à prix d’or à des Syriens de l’Armée libre. L’un d’eux, un jeune étudiant d’Alep qui a rejoint l’ASL, accepte de parler : "Je loue cette maison avec cinq autres personnes pour 500 livres par mois (250 euros). Plus du double du prix normal ! Mais je n’ai pas le choix. Je dois être près de la frontière pour nos activités, et ici, c’est discret, car les Turcs sont partis en ville, craignant les obus."
Dans ce village, un logement se loue en temps normal 280 livres. Une bonne marge, donc, pour les loueurs. Comme Onur, commerçant, qui avoue se faire des bénéfices bien plus importants que lorsqu’il travaillait dans son épicerie. "La frontière est une zone de maquis. C’est par là que l’Armée libre achemine tout ce qu’il faut pour les rebelles qui combattent à Harem", précise-t-il. Avant de lâcher, d’un air gêné, "comme en plus ils ont besoin de vivres, ça me permet d’écouler mon stock... J’avoue que leur présence est pour moi un bon business !" Avec ses "rentes", il est fier de dire qu’il peut louer une belle maison en ville, à l’abri d’éventuels obus.
Ahmet, Alaa et Onur font cependant figure d’exceptions. Des deux côtés de la frontière, la guerre a coupé net l’activité agricole, les terres abritant davantage de tanks et de réfugiés que de tracteurs et de paysans.
(Vendredi, 5 avril 2013 - Pauline Garaude)
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