Le rêve de Bachar el-Assad est-il en train de s’exaucer ? Le Front
al-Nosra (Front de défense du peuple syrien), le groupe djihadiste armé
qui inflige à son régime les plus lourdes pertes, vient d’être purement
et simplement adoubé par al-Qaida. De quoi alimenter le discours du
président syrien, selon qui ses opposants ne sont que des terroristes.
"Il est temps de proclamer aux Levantins et au monde entier que le Front
al-Nosra est en réalité une branche de l’État islamique d’Irak",
affirme ce mardi, dans un message publié sur les sites djihadistes, Abou
Bakr al-Baghdadi, chef de la principale organisation irakienne affiliée
à al-Qaida. Les deux groupes, ajoute-t-il, vont fusionner pour devenir
l’État islamique en Irak et au Levant.
Créé en avril 2011, après que Bachar el-Assad a décidé de libérer de
prison la quasi-totalité des djihadistes syriens, le Front al-Nosra
s’est fait connaître par ses attentats spectaculaires contre les
intérêts du régime, sans pour autant épargner les vies civiles. Mais le
groupe djihadiste s’est peu à peu mué en redoutable guérilla. Surtout,
il a gagné le respect des populations syriennes locales, qui louent le
courage et la générosité de ses combattants. Comment expliquer sa
radicalisation ? Pour Thomas Pierret (1), maître de conférences en islam
contemporain à l’université d’Édimbourg, c’est l’inaction de la
communauté internationale qui a favorisé l’émergence du djihadisme en
Syrie.
"Cela fait deux ans que des populations sont massacrées de façon
ignoble par des avions et des missiles Scud", juge ce spécialiste de la
Syrie. "Hormis les djihadistes, peu de gens sont prêts aujourd’hui à
aider les Syriens", souligne-t-il. Le Front al-Nosra change de nature au
cours de l’année 2012. L’organisation enregistre l’arrivée de plusieurs
centaines de combattants étrangers, notamment en provenance du terrain
irakien, profitant de la porosité de la frontière pour mener le djihad
en Syrie.
"Désormais majoritaires (aux deux tiers) par rapport aux Syriens, ces
djihadistes étrangers ont modifié la mission initiale du Front
al-Nosra, qui était de faire tomber le régime alaouite (secte issue du
chiisme, NDLR) de Bachar el-Assad, accusé de tuer des musulmans
sunnites", souligne Mathieu Guidère (2), professeur d’islamologie à
l’université de Toulouse-Le Mirail. "L’idéologie djihadiste des premiers
combattants syriens est peu à peu devenue martyriste. L’agenda, tout
d’abord national syrien, est devenu régional." La proximité avec la
nébuleuse islamiste se retrouve également au niveau opérationnel.
"Kidnappings, exécutions spectaculaires, attentats-suicides ciblés et
coordonnés, le Front al-Nosra a peu à peu adopté la quasi-totalité des
techniques qu’al-Qaida utilise en Irak depuis 2004, note l’islamologue
Mathieu Guidère. Peu à peu, le Front al-Nosra est devenu l’avatar
d’al-Qaida en Irak." Ce constat a été établi dès décembre par les
États-Unis qui, au grand dam de l’opposition syrienne, ont placé le
groupe sur leur liste noire des organisations terroristes, en tant
qu’émanation d’al-Qaida en Irak. Un présage, sans doute.
Désormais unifiées, les deux organisations ne cachent pas leur
souhait de voir la Syrie devenir un État islamique. Dans son
intervention, le chef d’al-Qaida en Irak conditionne d’ailleurs la
fusion à ce que "le pays (la Syrie) et les citoyens (soient) gouvernés
selon les préceptes dictés par Allah". "La démocratie ne doit pas être
la récompense après la mort de milliers d’entre vous", précise-t-il. "Ce
message répond directement à l’injonction d’Ayman al-Zawahiri, numéro
un d’al-Qaida", indique Mathieu Guidère.
Dans un message sonore mis en ligne dimanche sur des sites
islamistes, ce dernier avait appelé les djihadistes en Syrie et en Irak à
s’unir contre le régime de Bachar el-Assad et ses alliés, l’Iran et le
Hezbollah chiite libanais, pour rétablir le "califat islamique". La
référence ne doit rien au hasard. Au VIIe siècle, c’est à Damas que la
dynastie des califes Omeyyades (661-750) a établi son califat (État
islamique sous l’autorité du calife, le successeur du Prophète), plus
grand État musulman de l’histoire.
Toutefois, le chercheur Thomas Pierret rappelle : "La notion d’État
islamique, c’est-à-dire des lois basées sur la charia, fait consensus
chez les musulmans sunnites, que ce soit chez les djihadistes ou chez
les islamistes modérés, tels les Frères musulmans syriens (majoritaires
au sein de l’opposition, NDLR)." La Coalition nationale syrienne,
principale composante de l’opposition, a beau ne pas compter dans ses
rangs les djihadistes d’al-Nosra, elle risque de payer cher l’alliance
du jour.
(10-04-2013 - Armin Arefi)
(1) Thomas Pierret, auteur de Baas et islam en Syrie. La dynastie Assad face aux oulémas (PUF, 2011).
(2) Mathieu Guidère vient de publier Les cocus de la révolution (éditions Autrement).
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