La guerre aux "chevelures indécentes" est déclarée. Le Hamas, au
pouvoir dans la bande de Gaza, se livre depuis la semaine dernière à une
vague d’arrestations sans précédent. Sa cible : tout jeune homme aux
cheveux longs ou hérissés, révèle le Centre palestinien pour les droits
de l’homme. "Un officier de police m’a interpellé et m’a ordonné de
pénétrer à l’intérieur d’une jeep [...] où figuraient douze autres
jeunes hommes", raconte une victime à l’ONG, basée à Gaza. "Au
commissariat, on nous a ordonné de nous placer debout, en rang [...],
puis nous avons été insultés. Lorsqu’un détenu protestait, il était
frappé. Les policiers ont alors commencé à couper les cheveux d’un jeune
homme, puis ce fut mon tour."
"Des dizaines d’adolescents de la bande de Gaza se sont plaints de
pareils traitements par les forces de police, et nous recevons de
nouveaux témoignages chaque jour", assure Hamdi Shaqqura, directeur
adjoint du Centre palestinien pour les droits de l’homme. Pointé du
doigt, le Hamas, qui dirige l’enclave palestinienne, apporte des
explications pour le moins confuses. Sur Facebook, Ihab al-Ghussein,
chef du bureau d’information du gouvernement, assure que les attaques
ont été perpétrées par des partis islamistes. De son côté, le
porte-parole de la police de Gaza, le commandant Aymane al-Batniji,
admet dans un communiqué diffusé par l’Agence France-Presse que des
jeunes se sont fait couper les cheveux, mais à la suite de "plaintes de
directeurs d’écoles" visant des individus qui "harcelaient les filles".
Or, Hamdi Shaqqura est formel : "Cet acte stupide est bien le fait du
gouvernement", assure-t-il. "Et il est illégal, car il viole la
protection de la vie privée, censée être garantie par les lois
palestiniennes", insiste-t-il. Pour le directeur adjoint de l’ONG, les
attaques contre les adolescents ne sont que le dernier signe en date de
la "volonté du parti au pouvoir d’imposer pas à pas son idéologie".
"Le but du Hamas est d’islamiser la vie quotidienne", explique pour
sa part Jean-François Legrain, chercheur au CNRS-Iremam (Institut de
recherches et d’études sur le monde arabe et musulman). Or, ajoute-t-il,
"il peut, pour ce faire, se réclamer de la loi fondamentale". Celle-ci,
votée par le Conseil législatif palestinien et promulguée en 2002 par
Yasser Arafat, institue l’islam comme religion officielle et en fait
l’une des sources principales de la législation.
Vainqueur des élections législatives de 2006, le Hamas prend de force
le contrôle de la bande de Gaza l’année suivante, après en avoir chassé
les membres du Fatah, le parti nationaliste au pouvoir en Cisjordanie.
Émanation des Frères musulmans, le Hamas s’est pourtant toujours défendu
de vouloir créer un État islamique. "À l’origine, le Hamas est un
mouvement de socialisation religieuse, qui est ensuite entré dans la
mobilisation nationale, militaire puis politique", rappelle
Jean-François Legrain.
Désormais aux affaires, le mouvement gouverne l’enclave palestinienne
et impose en sous-main sa mission religieuse. L’alcool disparaît
bientôt des échoppes. Le Hamas s’occupe également des femmes. Si aucune
loi n’est émise, le mouvement islamiste encourage le port du voile. Les
Palestiniennes se voient interdire de fumer la chicha en public, de
monter à l’arrière de motos ou encore de se faire coiffer par des
hommes. En 2008, le Hamas vote une loi obligeant les fournisseurs
d’accès à Internet (FAI) à filtrer les sites pornographiques, avant de
faire finalement volte-face.
"Cette loi a provoqué de farouches oppositions de la part des FAI et
de la population, qui craignait qu’elle n’ouvre la voie à d’autres
censures", explique Olivier Danino*, chercheur à l’Institut français
d’analyse stratégique (Ifas). "Ne pouvant envisager de s’aliéner son
électorat, le Hamas n’a pas appliqué la loi." Le pragmatisme politique
du Hamas lui cause pourtant du tort. Le mouvement islamiste est bientôt
concurrencé sur sa droite par des partis salafistes.
"Des groupes piétistes d’inspiration saoudienne se sont développés à
Gaza dès les années 1930, et sont considérés comme légitimes par une
grande partie de la population en tant que mouvements religieux",
explique Jean-François Legrain. "La nouveauté est que certains de ces
groupes se réclament maintenant d’al-Qaida et que certains ont pu être
manipulés par le Fatah", ajoute le spécialiste du Proche-Orient. Parmi
eux, l’un des plus influents est sans doute le Majlis al-Shura
al-Mujahidin (le Conseil consultatif des combattants). "Ces groupes
fondamentalistes reprochent au Hamas de ne pas faire son travail
d’islamisation, en tant que formation se réclamant de l’islam", souligne
Jean-François Legrain.
Le parti islamiste au pouvoir à Gaza est également vivement critiqué
pour son laxisme vis-à-vis d’Israël. En quête de reconnaissance
internationale, il s’emploie depuis 2009 à limiter les tirs de roquettes
contre l’État hébreu. "Il lui est reproché d’avoir abandonné la
résistance contre l’occupant, car il cherche la stabilité", souligne
Olivier Danino. Un sentiment qui amène certains groupes djihadistes à
prendre eux-mêmes les armes contre Israël. Ce sont eux qui lancent
désormais la majorité des roquettes. Face à l’émergence de ces nouveaux
rivaux politiques, le Hamas décide de donner des gages.
"Le Hamas multiplie alors les mesures symboliques prouvant sa volonté
d’islamiser la bande de Gaza, explique Olivier Danino. Il espère ainsi
être épargné sur sa politique envers Israël." En septembre 2012, le
Hamas promulgue une loi reprenant en substance la loi anti-sites
pornographiques abandonnée en 2008. Début mars, il impose par décret la
séparation des sexes dans les écoles dès l’âge de neuf ans. "Il n’était
pas nécessaire d’apporter une dimension légale à un fait déjà en vigueur
dans la majorité des écoles publiques", peste le militant des droits de
l’homme Hamdi Shaqqura.
Reste que si la promulgation de telles lois demeure - pour l’heure -
encore limitée, la vie quotidienne à Gaza porte déjà les marques de son
islamisation rampante. Témoin le voile qui, s’il n’est pas obligatoire,
est porté par la majorité des femmes de Gaza. Pour Jean-François
Legrain, ce phénomène grandissant d’affirmation de la religiosité, qui
s’observe d’ailleurs dans l’ensemble du monde arabe, est vécu par
beaucoup comme le ciment de la société palestinienne contre les
agressions de l’occupation. "C’est ainsi que la première intifada a vu
exploser le port du voile", souligne le chercheur.
"La population palestinienne a toujours été attachée à la religion,
tempère Olivier Danino, mais pas en l’islamisation complète du
territoire. Elle ne veut certainement pas que la Palestine devienne
l’Arabie saoudite ou le Qatar."
(11-04-2013 - Armin Arefi)
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