Il est recherché par la police, mais donne rendez-vous en face d’un
commissariat. "La police en Tunisie, c’est pas le FBI", se moque-t-il.
Lui, c’est le rappeur Weld el-15. Casquette à l’envers, veste noire,
jean, il se dit "tranquille". De son vrai nom Alaa Yacoubi, ce Tunisien
de 25 ans a été condamné par contumace, le 22 mars, à deux ans de prison
ferme pour son clip "Boulicia Kleb" - les policiers sont des chiens -,
diffusé sur les réseaux sociaux le 3 mars. L’avocat Ghazi Mrabet devrait
faire opposition.
"Il est vrai qu’il y a une certaine liberté d’expression, mais on ne
peut pas tomber sous le coup du Code pénal pour une affaire de morale",
s’exclame l’avocat, qui compare l’affaire à celles de NTM et du
Ministère A.M.E.R en France qui avaient écopé d’amendes pour "Assassin
de la police" et "Sacrifice de poulets". "Il faut qu’on arrive à sortir
de cette situation qui place la justice comme l’ennemi des artistes et
des faiseurs d’opinions, même si on sait que les juges et magistrats
n’ont à leur disposition que de vieux textes de lois liberticides datant
de l’ère Ben Ali", nuance Thameur Mekki, journaliste et membre du
comité de soutien de Weld el-15.
Weld el-15 était notamment poursuivi pour "outrage à fonctionnaire"
et "outrage public à la pudeur", comme la figurante du clip, le
réalisateur et quatre autres rappeurs, dont le seul tort est d’être
remerciés à la fin du clip. Arrêté dans la nuit du 10 au 11 mars, peu
après l’ouverture de l’enquête à la demande du commissariat d’Hammam Lif
au sud de Tunis, "le réalisateur a été roué de coups par terre et
agressé verbalement. La figurante n’a pas été touchée physiquement, mais
a entendu des paroles bien pires que celles dans le clip", accuse Ghazi
Mrabet, l’avocat, qui dénonce un vice de procédure : "Les policiers
n’avaient pas de mandat pour fouiller la chambre de la figurante." Tous
deux ont écopé de six mois de prison avec sursis. L’avocat a fait appel,
tout comme le parquet. Les quatre rappeurs Madou MC, Emino, Lil’K
(Kobrion dans la dédicace) et Spoiled Boy ont aussi été condamnés par
contumace à deux ans de prison ferme, avant d’être finalement relaxés le
26 avril après opposition de leur jugement.
"Ce n’est pas un jugement normal"
Un non-lieu qualifié par la militante des droits de l’homme Sihem Ben
Sedrine, présente au tribunal, de "double victoire : pour la liberté
d’expression et pour la justice". "Dans l’art, il y a toujours des excès
et le leur est certainement lié aux excès qu’ils ont subis de la part
de la police. Ces jeunes étaient des souffre-douleur. La solution du
contentieux entre les jeunes et la police passera par la réforme de la
police et une reconnaissance publique des torts que les policiers ont
fait subir à la population."
Sa chanson, Weld el-15 l’a écrite lors de son séjour en prison en
2012 où il a passé huit mois "pour un petit joint", dit-il, avec deux
autres rappeurs, Emino et Madou MC. Il y traite magistrats et policiers
de "chiens" et dit : "Pour l’Aïd, j’aimerais bien égorger un flic au
lieu d’un mouton" ou "donnez-moi un flingue, que je leur tire dessus",
glissant cependant "respect pour les officiers honorables". "C’est une
métaphore, jure-t-il aujourd’hui. On ne peut pas me juger pour mes
sentiments. Je ne dis pas aux gens de tuer des policiers", se défend
l’artiste.
Depuis, ce Tunisien qui a grandi dans des quartiers populaires de
Tunis, reçoit des "menaces de mort de la part de policiers". Son clip,
qui a dépassé les 800 000 vues, est dédié "à la jeunesse écrabouillée".
Comme beaucoup de jeunes de son âge, Weld el-15 ne se reconnaît dans
aucun parti politique. Et la police reste pour lui le symbole du régime
déchu. Tour à tour, les rappeurs dénoncent "les insultes pour un simple
contrôle de papier", leurs conditions de détention et les répressions
policières lors de manifestations ou dans les quartiers populaires.
"Le rap, une arme pendant la révolution"
"On fait notre musique pour s’exprimer. On voit ce qui se passe, on
ne peut pas rester sans rien dire", plaide Mohamed Amine Bouhrizi, alias
Madou MC, 25 ans. Lui est originaire de Kabaria, un quartier populaire
du sud de Tunis. Dans une vidéo, il défie les policiers de s’y rendre.
"Après la révolution, on a cru en la liberté d’expression. On a écrit
des textes plus durs que l’État n’accepte pas. Il y a de plus en plus de
rappeurs et ils [les gouvernants] ont senti que cela pouvait changer
quelque chose", déclare Khalil Baalouch, alias Lil’K, 23 ans, qui
prépare un nouveau clip "Pas de marche arrière".
"Le rap était une des armes du peuple pendant la révolution",
rappelle Maraoun Douiri, alias Emino, 23 ans. Depuis le départ de Ben
Ali, les clips sont plus faciles à produire. En raison d’un marché peu
développé, ils sont diffusés sur le Net. Mais plusieurs rappeurs ont été
inquiétés par la justice et Thameur Mekki dénonce "une campagne". Outre
Weld el-15, Emino et Madou MC, Phénix, un autre rappeur avait lui aussi
été condamné l’an dernier à une peine d’un an pour détention de
cannabis. Le syndicat des douaniers a déposé une plainte contre Klay BBJ
et Med Amine Hamzaoui à la suite d’un morceau où l’uniforme de ses
agents était représenté.
"C’est une guerre contre les policiers, la justice et le
gouvernement. Pourquoi les policiers frappent les gens quand ils les
attrapent, comme on l’a vu à Bizerte ? Où est la justice dans le cas de
Sami Fehri [depuis fin août 2012, ce directeur d’une chaîne de
télévision est toujours emprisonné malgré les décisions de la Cour de
cassation en faveur de sa libération, NDLR] ? Le gouvernement veut faire
taire les jeunes, il veut tuer les voix de la révolution", s’emporte
Alaa Yacoubi, le regard noir, faisant référence au collectif de
graffeurs Zwewla qui a écopé d’une amende de 100 dinars (50 euros) pour
"dégradation de biens publics". Avec Phénix, ils ont réalisé "Dangereux
fi Ryousna", ce qui signifie "dangereux dans nos têtes". "Si mes paroles
ne vous ont pas plu, excusez-moi les chiens [les policiers]", enfonce
le texte. "Je continuerai jusqu’à atteindre mon objectif : faire en
sorte que les policiers respectent les gens", défie Weld el-15. Il
envisage même d’enregistrer un message pour le ministre de l’Intérieur.
(29-04-2013 - Julie Schneider)
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