lundi 14 décembre 2015

Algérie : La loi contre les violences aux femmes définitivement adoptée (Soraya Mehdi)

Il aura fallu du temps, plus que prévu, mais ça y est, les Algériennes bénéficient désormais de nouvelles mesures de protection contre les violences, notamment celles subies au domicile et dans la rue. Le texte de loi, à présent définitivement entériné par le Parlement, modifie et complète le Code pénal pour introduire la notion de harcèlement moral conjugal et celle de harcèlement dans les lieux publics. Il dispose ainsi que quiconque porte volontairement des coups à son conjoint risque entre un et vingt ans de prison, avec la réclusion à perpétuité en cas de décès. Des sanctions sont également prévues contre l'abandon de l'épouse, « enceinte ou non », et contre les pressions ou intimidations visant à priver l'épouse de ses biens. Le projet de loi énonce par ailleurs des sanctions à l'encontre de l'auteur d'agressions sexuelles. « Pour la première fois, on reconnaît qu'une violence perpétrée dans le cadre privé est une infraction et un délit, de même qu'on reconnaît que le harcèlement dans la rue est une atteinte à l'intégrité physique et morale de la femme », a commenté Hassina Oussedik, directrice d'Amnesty International Algérie, dans une déclaration à la presse rapportée par le journal El Watan.

Un pas important mais pas « suffisant » pour les associations
« Les amendements proposés constituent une avancée dans la bonne direction mais ne devraient en aucun cas se substituer à des réformes globales pour prévenir, pénaliser et éliminer la violence sexuelle et liée au genre en Algérie », a réagi l'ONG Amnesty International Algérie, dans un communiqué publié jeudi 10 décembre, en appelant à la promulgation « d'une loi-cadre contre toutes les formes de violence à l'égard des femmes ». Une prochaine étape réclamée aussi par le réseau Wassila, qui rassemble plusieurs associations algériennes de protection et de défense des femmes et enfants victimes de toutes sortes de violences.  « La lutte continue pour rendre la loi sur les violences faites aux femmes effective et accessible aux victimes », affirme l'association sur sa page Facebook. « Nous allons maintenant demander que l'État poursuive l'agresseur pénalement, même si la victime, sous mille et une pressions, "pardonne" à l'agresseur, puisque la loi le prévoit dans une clause. » L'introduction de la disposition de « pardon » qui prévoit l'arrêt des poursuites judiciaires en cas de pardon de la victime est en effet unanimement dénoncée par les organisations de défense des droits des femmes. « Elle représente une mise en échec de la parole des femmes et un message d'impunité envoyé aux agresseurs », estimait la syndicaliste et militante féministe Soumia Salhi dans un entretien accordé début mars, au lendemain du vote de la loi à l'Assemblée populaire nationale (APN), à la webradio algérienne Radio M.

Les Algériennes demeurent vulnérables face aux agressions
Reste la mise en pratique rapide des dispositions du projet de loi avec la promulgation des décrets d'application. Une urgence rendue de plus en plus pressante par l'enchaînement de faits divers tragiques d'agressions de femmes dans la rue. Le viol d'une migrante camerounaise à Oran arrêtée lors de son dépôt de plainte, le passage à tabac d'une femme chauffeur de taxi à Alger incapable de porter plainte après son agression et l'assassinat d'une jeune femme écrasée par un automobiliste près de M'sila, à l'est du pays, pour avoir refusé les avances du même automobiliste ont ainsi entaché l'actualité de ces derniers mois. Au total, ce sont plus de 7 300 cas de violences faites aux femmes, dont 5 350 cas de violences physiques, qui ont été enregistrés en Algérie au cours des neuf premiers mois de 2015, selon les chiffres de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) rapportés par l'agence de presse algérienne APS. Cela représente 3 000 cas de plus qu'en 2014, où quelque 4100 cas de violences contre les femmes ont été recensés par la DGSN entre janvier et septembre.

La société algérienne divisée
L'adoption inhabituellement tardive par le Sénat - les sénateurs votant généralement dans la foulée les textes de loi adoptés par les députés - du projet de loi criminalisant les violences faites aux femmes souligne une fracture de courants de pensée au sein de la société algérienne, a estimé l'avocate Nadia Aït Zai dans une déclaration au journal en ligne Huffington Post Algérie. « Il y a, d'un côté, un gouvernement qui essaye de proposer, faire évoluer, d'émanciper les femmes, d'en faire des individus et, de l'autre, un Parlement qui essaye de diminuer ces femmes, de ne pas reconnaître leur individuation, leur autonomie, je ne dis pas tout le Parlement, mais une partie qui crie assez fort pour se faire entendre. »  Des députés islamistes avaient en effet vivement critiqué le projet d'amendement du Code pénal pour lutter contre la violence faite aux femmes,  l'accusant de « porter atteinte à la famille » lors des débats à l'APN. Certains élus ont même soulevé une vague d'indignation par leurs propos réactionnaires accusant les femmes d'être responsables des violences qu'elles subissent en raison de leur accoutrement et de leur « maquillage ».

(12-12-2015 - Soraya Mehdi)

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