vendredi 24 juillet 2015

Égypte : Le plaisir du foot éclipsé par les violences

Après avoir tenté en vain d'assister au match de son équipe de foot préférée, Ossama Gamal suit la rencontre sur son téléphone portable, entouré de dizaines de policiers à l'extérieur d'un stade du Caire dont les gradins sont déserts.
Il fut un temps où l'Egypte se targuait d'avoir l'une des équipes de football les plus importantes d'Afrique. Mais le ballon rond ne déchaîne plus les passions depuis les violences meurtrières qui ont accompagné certains matches et les mesures de sécurité drastiques mises en place.
Le gouvernement a imposé un huis clos total sur les matches de football depuis que 74 supporteurs ont été tués à Port-Saïd (nord) en février 2012 dans des affrontements entre fans de deux clubs rivaux.
"Même le football, notre seul plaisir dans la vie, n'a plus de goût", déplore Ossama, jeune étudiant de 21 ans et ardent supporteur du très populaire club Zamalek.
En cette soirée de juillet, à l'extérieur du stade Petro sport, le nombre de policiers dépasse largement celui des personnalités invitées à assister au match entre Zamalek et Al-Nasr.
"Le plaisir du football s'est terminé quand j'ai dû courir pour sauver ma vie", se souvient l'avocat Mohamed Al-Arabi, 31 ans, qui a échappé de peu à une bousculade ayant fait 19 morts à l'extérieur d'un stade du Caire le 8 février, avant une rencontre opposant Zamalek à Enppi.
La rencontre du 8 février était l'un des premiers matches de première division ouverts au public depuis 2012. Les autorités avaient décidé de lever partiellement le huis clos à l'occasion du championnat, avant de le rétablir immédiatement après ces violences.
Témoins et organisations internationales des droits de l'Homme avaient accusé la police d'avoir provoqué la bousculade mortelle en tirant des gaz lacrymogènes à outrance sur des spectateurs pris au piège entre des barrières et l'une des entrées du stade.
Experts et supporteurs reconnaissent que du temps de l'ex-président Hosni Moubarak, renversé en 2011 par une révolte populaire, le football était un exutoire pour de nombreux Egyptiens, permettant d'oublier l'absence de libertés et des conditions socio-économiques difficiles.
Familles et amis se réunissaient à la maison ou au café du coin, pour suivre les matches dans une atmosphère joviale.
Mais désormais, "les gens ont l'impression que l'univers du foot est marqué par le sang et la violence, et donc peu à peu ils s'en sont désintéressés", estime Ashraf al-Sherif, politologue à l'Université américaine du Caire.
Depuis 2011, le sport n'a pas été épargné par les troubles politiques qui secouent le pays.
Deux éditions du championnat de première division ont été annulées deux années de suite, en 2012 après les violences de Port-Saïd, et en 2013 après l'éviction par l'armée du président islamiste Mohamed Morsi lorsque les manifestants pro-Morsi étaient réprimées dans le sang.
Les mouvements Ultras, qui ont fait leur apparition en 2007 et maintenaient une ambiance délirante dans les gradins, ont été interdits en mai par la justice. Ces groupes, aux premières lignes de la contestation de 2011, affichaient ouvertement leur hostilité vis-à-vis de la police.
De plus, l'équipe nationale a échoué depuis 2011 par trois fois à se qualifier pour la coupe d'Afrique des nations (CAN), poussant le public à se désintéresser peu à peu du football.
"Le football local ne suscite plus le même engouement", reconnaît Samir, serveur dans un café du quartier populaire de Sayeda Zeinab.
Au moment où il parle, un match du club El-Ahly, le plus populaire du pays, est diffusé à la télévision, mais rares sont les clients qui semblent y prêter attention.
"On a beaucoup plus de clients quand Barcelone ou le Real Madrid jouent. On est alors obligé de sortir plus de chaises", dit-il.
"Le football est mort en Egypte", assène Sameh Mamdouh, supporteur d'al-Ahly, qui autrefois ne ratait aucun match du club. "Mon seul plaisir maintenant c'est de regarder le football européen".

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