Du 8 juillet au 26 août, l’opération Bordure protectrice aura causé
la mort de 2 140 Palestiniens (dont plus de 70 % de civils, selon l’ONU)
et de 64 soldats et 6 civils israéliens. Cinquante jours durant
lesquels les roquettes du Hamas auront répondu aux bombardements de
Tsahal - et inversement. "Une guerre pour rien", dit Gilad Halpern. Cet
Israélien de 33 ans, qui vit à Tel-Aviv, père d’un petit garçon de 2
ans, sort tout juste de la prison militaire où il a passé dix-neuf
jours. "Dix-neuf jours qui m’ont paru une éternité", explique-t-il.
Dix-neuf jours parqué dans une tente avec vingt autres personnes, sous
un soleil de plomb. Dix-neuf jours de discipline militaire, avec lever
obligatoire à 5 heures du matin. Dix-neuf jours loin de sa femme et de
son fils qui a célébré son anniversaire sans son père.
Son crime ? Appelé comme réserviste par l’armée - comme près de 90
000 autres Israéliens -, Gilad a décidé de devenir un refuznick : il a
refusé de retourner dans les rangs de Tsahal pour combattre à Gaza. "Il
est difficile de dire combien nous sommes à avoir dit non, explique
Gilad. Je connais cinq ou six refuznicks. Bien sûr, l’armée ne
communique pas de chiffres. Mais nous ne sommes qu’une poignée." L’armée
a en tout cas trouvé la parade. Pour donner le moins d’importance
possible à ces objecteurs de conscience, Tsahal sait être accommodante :
"Si tu demandes poliment, si tu trouves une bonne excuse, ils acceptent
parfois de te libérer de tes obligations envers l’armée sans passer par
la case prison. Moi, j’ai choisi d’assumer mon refus. C’est une
question de morale. J’ai l’espoir que mon cas puisse changer les choses.
Je veux montrer au monde que tous les Israéliens ne se tiennent pas
comme un seul homme derrière la politique qui est actuellement menée."
"J’ai vu Gaza dévastée"
Au départ, la décision de déserter n’a toutefois pas été facile à
prendre pour Gilad. Quand il reçoit son ordre de mobilisation, le jeune
homme essaye d’abord de négocier avec son unité. Devant le refus de
l’armée, il décide de partir aux Pays-Bas pendant deux semaines "avec
l’espoir que la guerre serait terminée d’ici là, ou que l’armée décide
finalement de ne pas me poursuivre". Mais en rentrant à Tel-Aviv, il est
arrêté à l’aéroport Ben-Gourion, emmené dans une base militaire dans le
sud du pays, jugé puis enfermé. Dans la prison où Gilad exécute sa
peine, personne ne sait pourquoi il est là. Il est le seul objecteur de
conscience. "Autour de moi, il n’y avait que des conscrits, des jeunes
de 18 à 21 ans avec qui je trouvais inutile d’ouvrir la discussion. À
cet âge, on n’est pas assez mature, on ne rentre pas dans des débats
complexes."
Gilad, lui, est homme d’expérience. Comme chaque Israélien, il a
servi Tsahal pendant trois ans. En 1999, il a à peine 18 ans quand
débute son service militaire qu’il effectue au sein d’une division
blindée en Cisjordanie, alors en pleine Intifada. Dix ans plus tard, en
2009, l’État hébreu lance l’opération Plomb durcie à Gaza au cours de
laquelle 1 400 Palestiniens trouvent la mort. Gilad est appelé avec son
unité comme réserviste. Le jeune homme prend alors "conscience que rien
ne justifie la brutalité" d’Israël sur son voisin palestinien. Il ne
participe pas directement aux combats, mais reste très choqué par cette
expérience. "J’ai vu comment Gaza a été dévastée, j’ai vu les ruines,
les meurtres de masse. Comment Israël peut-il user d’une telle force
contre ces gens déjà si pauvres et si faibles ? Rien ne peut justifier
cela." Pour le jeune homme, les choses sont alors claires : "Je me suis
dit que plus jamais je ne voulais associer mon nom à ce que j’estime
être une guerre injuste."
"Beaucoup regrettent qu’Israël n’ait pas tapé assez fort"
Être un refuznick n’est pas simple dans la société israélienne
actuelle. Au lendemain de la signature du cessez-le-feu entre
négociateurs israéliens et palestiniens, un sondage montre que 54 % de
la population israélienne rejette cet accord. "Le cessez-le-feu est
dénoncé aussi bien par la droite que par la gauche. Beaucoup regrettent
qu’Israël n’ait pas tapé assez fort contre le Hamas", explique Gilad. Le
mouvement palestinien clame sa victoire, quand le Premier ministre
israélien Benyamin Netanyahou assure, lui, que le Hamas "a été frappé
durement" et "n’a rien obtenu de ses demandes".
Reste que les termes du cessez-le-feu sont quasi identiques à ceux
qui ont mis fin à la guerre de 2009. De quoi se demander si Israël et la
Palestine sauront un jour sortir de la spirale infernale de la
violence. "Je suis fâché contre Israël, assène Gilad, avec -
paradoxalement - une grande douceur dans la voix. Cette guerre aurait pu
être évitée. Il ne peut y avoir qu’une solution diplomatique et l’État
hébreu est passé à côté d’une opportunité en or : il aurait dû profiter
de la réconciliation entre le Hamas et le Fatah. Car l’unité
palestinienne peut affaiblir et isoler le mouvement islamiste."
"Israël doit changer sa politique vis-à-vis des Palestiniens"
Avec humilité, Gilad dit qu’il "a fait le choix qu’il fallait pour
être du bon côté de la route". Il explique avoir trouvé beaucoup de
soutien parmi sa famille, ses amis et ses collègues. Le regard que
portent les gens sur lui n’a-t-il vraiment pas changé ? Le jeune homme
assure que non, même s’il concède que certains aient pu ne pas
comprendre sa décision de ne pas participer à la guerre. "Des personnes
m’ont dit que c’était un devoir de défendre Israël. Je leur ai répondu :
Défense ? De quelle défense parlez-vous ?"
Être sanctionné pour ses opinions ne lui a en tout cas pas donné
envie de partir. "Je suis né ici. Israël est mon pays. Je ne suis pas
d’accord avec ce que ce gouvernement fait, mais je veux rester ici.
C’est chez moi. Je veux que mon fils grandisse auprès de sa famille",
dit-il. Et d’ajouter : "Quand je vois les manifestations qu’il y a eu
dans le monde contre Israël, je me dis que c’est dans l’intérêt de mon
pays de changer sa politique vis-à-vis des Palestiniens. Et je ne
souhaite qu’une seule chose : la paix."
(01-09-2014 - Par Julie Kara )
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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