La France est une pionnière. Elle est en effet le premier pays à avoir
adopté officiellement l'appellation "Daesh" pour désigner l'État
islamique, organisation djihadiste qui a proclamé en juillet un califat à
cheval sur l'Irak et la Syrie. "Le groupe terroriste dont il s'agit
n'est pas un État, il voudrait l'être, mais il ne l'est pas", a déclaré
mercredi Laurent Fabius au perchoir de l'Assemblée nationale. "Je vous
demande de ne plus utiliser le terme d'État islamique, car cela
occasionne une confusion entre islam, islamistes et musulmans. Il s'agit de ce que les Arabes appellent Daesh et que j'appellerai pour ma part les égorgeurs de Daesh."
Depuis le 9 septembre, tous les communiqués du Quai d'Orsay et de
l'Élysée portent cette mention. Que signifie-t-elle ? Daesh n'est autre
que l'acronyme arabe de Dowlat al-Islamiyah f'al-Iraq wa Belaad al-sham, comprenez l'État islamique en Irak et au Levant (pays bordant la côte orientale de la mer Méditerranée).
Créée en 2004, au lendemain de l'intervention américaine en Irak,
l'organisation djihadiste est née sous les traits d'al-Qaida en
Mésopotamie. En 2006, elle englobe plusieurs groupes d'insurgés et
devient l'État islamique en Irak.
En difficulté face aux forces américaines et aux milices sunnites, l'organisation, dirigée depuis 2010 par l'Irakien Abou Bakr al-Bagdadi, trouve
un second souffle à la faveur du conflit syrien, qui lui permet
d'étendre son influence dans la région. Elle devient en 2013 l'État
islamique en Irak et au Levant (EIIL). Contrairement aux autres groupes
djihadistes, son but est de rétablir le califat islamique (tombé en
1924) d'Irak au Liban, en passant par la Jordanie et la Palestine.
Commentant la spectaculaire percée de l'organisation djihadiste en
Syrie, ce sont des opposants syriens qui évoquent pour la première fois
le terme "Daesh" sur le plateau de la chaîne d'information saoudienne
Al-Arabiya.
"Cette appellation a été ensuite institutionnalisée par les chaînes
opposées à ce groupe, car elle ne contient pas les termes "État" ni
"islamique", et possède une connotation péjorative", explique Wassim
Nasr, journaliste spécialiste des questions djihadistes à France 24. "En effet, l'acronyme Daesh ressemble au mot arabe daes ("celui qui écrase du pied"), mais aussi au terme dahes ("celui
qui sonne la discorde"), en référence aux batailles de Dahes wal Ghabra
(entre 608 et 650 après J.-C.) au cours desquelles les tribus arabes se
sont entretuées avant d'être unies par l'islam."
Depuis son apparition en 2013, le nom Daesh fait enrager les
djihadistes, d'autant que l'utilisation d'acronymes est extrêmement rare
dans le monde arabe. À Mossul, plusieurs habitants ont d'ailleurs
affirmé en juin à Associated Press avoir été menacés de se faire
couper la langue s'ils prononçaient ce mot. À l'époque, le mot Daesh est
encore relativement inconnu en France, les journalistes désignant le
groupe sous l'acronyme EIIL (État islamique en Irak et au Levant). Même
chose dans les pays anglo-saxons, où l'on parle d'ISIS (Islamic State in
Iraq and in Syria) ou d'ISIL (Islamic State in Iraq and in Levant).
Mais la donne change dès juillet 2014. Après avoir mis en déroute
l'armée irakienne, l'EIIL proclame un califat allant de la province
d'Alep, au nord de la Syrie, à celle de Diyala, à l'est de l'Irak. Et
devient l'État islamique (EI). À sa tête, le "calife Ibrahim", nouveau
nom du chef djihadiste irakien Abou Bakr al-Baghdadi, appelle les
musulmans du monde entier à rejoindre son État. "Dans chaque territoire
conquis, l'organisation met en place une administration ainsi que des
institutions embryonnaires, comme des tribunaux religieux, un Conseil de
la vie, et des services sociaux", explique Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes au cabinet NGC Consulting.
"Les djihadistes se greffent sur l'ancienne administration. Tous les
fonctionnaires qui acceptent de leur prêter allégeance restent à leur
poste." Et l'expert de conclure : "Si leur État n'est pas reconnu par
l'ONU et ne bat pas sa propre monnaie, il ne possède pas moins
d'institutions que l'Afghanistan à l'époque des Talibans."
Comme jadis en Afghanistan, cet État islamique autoproclamé applique une
version ultra-rigoriste de la charia. Ses combattants multiplient les
exactions contre tous ceux qui refusent de s'y plier - notamment les
minorités yézidis et chrétiennes d'Irak -, forçant des dizaines de
milliers d'entre eux à la fuite. Un "nettoyage ethnique" condamné par
l'ONU qui pousse les États-Unis à intervenir en bombardant les positions
djihadistes dès le 9 août. En représailles, l'EI décapite deux
journalistes américains et un humanitaire anglais, choquant le monde
entier et renforçant la détermination de Barack Obama à en venir à bout.
"Ce groupe se fait appeler État islamique mais il faut que deux
choses soient claires : ISIL n'est pas islamique", s'est insurgé le 10
septembre le président américain. "Aucune religion ne cautionne le
meurtre d'innocents et la majorité des victimes de l'ISIL sont des
musulmans. ISIL n'est certainement pas un État. Il était auparavant la
branche d'al-Qaida en Irak." Son secrétaire d'État John Kerry propose
donc un nouveau nom : "L'ennemi de l'Islam". Mais pas "Daesh", pourtant
si cher à la France. "Le choix du gouvernement français est tout à fait
logique", estime le spécialiste Romain Caillet. "En utilisant "Daesh",
la France choisit un terme partial et frontal, car il est en guerre
contre cette organisation."
Mais qu'en est-il des journalistes qui traitent des crises en Irak et en
Syrie ? L'Agence France Presse (AFP) a tranché. Sur le blog Making
of, la directrice de l'information de l'AFP, Michèle Léridon, explique
pourquoi son agence de presse n'utilise plus "État islamique". Tout
d'abord car "il ne s'agit pas d'un véritable État, avec des frontières
et une reconnaissance internationale". Mais aussi parce que "les valeurs
dont se réclame cette organisation ne sont en rien islamiques". Au Point,
nous parlerons plus volontiers d'"organisation État islamique" mais pas
de "Daesh". Pour ne pas servir la propagande des djihadistes tout en
conservant notre objectivité de journaliste.
(22-09-2014 - Armin Arefi)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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