(Le président syrien Bachar el-Assad
recevant, le 11 septembre à Damas, l'envoyé spécial des Nations unies
sur la crise syrienne, l'Italien Staffan de Mistura - AFP)
Les frappes américaines menées en Syrie contre l'organisation État
islamique (EI) ont beau être illégales au regard du droit international,
elles n'ont pas provoqué la fureur de Bachar el-Assad. Bien au
contraire. Au lendemain des premiers bombardements, mardi, le président
syrien a déclaré que son pays soutenait tout "effort international"
visant à lutter contre le terrorisme. "Le succès de cet effort n'est pas
seulement lié à l'action militaire - qui est importante -, mais aussi à
l'engagement des États à [appliquer] les résolutions internationales",
s'est satisfait le maître de Damas.
Ironie du sort, l'intervention américaine se fait au mépris total des
principes onusiens qui précisent que les États-Unis ont le droit d'agir
en Syrie uniquement s'ils sont attaqués ou si Damas appelle Washington à
l'aide. Pour contourner cet obstacle, l'ambassadrice américaine aux
Nations unies Samantha Power a adressé mardi une lettre au secrétaire
général de l'ONU, Ban Ki-moon, dans laquelle elle explique que les
frappes sont légales invoquant l'article 51 de la charte de l'ONU sur la
légitime défense. D'après elle, les États-Unis ont le droit de frapper
en Syrie afin de venir en aide à l'Irak, attaquée par l'organisation
État islamique depuis son fief syrien de Raqa.
Une interprétation "pour le moins curieuse" des règles internationales,
estime François Heisbourg, président de l'Institut international pour
les études stratégiques (IISS), d'autant qu'"il ne s'agit pas ici d'un
bombardement à chaud contre une colonne de djihadistes qui se seraient
réfugiés de l'autre côté de la frontière, mais de frappes préméditées
sur une vaste zone appartenant à un État souverain", souligne l'expert.
En effet, les bombes américaines ont arrosé un large territoire allant
du nord-ouest à l'est de la Syrie. Une contradiction qui ne semble avoir
dérangé ni Ban Ki-moon, qui a justifié les bombardements par le fait
qu'ils étaient menés dans des "zones hors du contrôle effectif du
gouvernement syrien", ni le régime de Bachar el-Assad.
Il faut dire que ce dernier a indiqué qu'il avait été informé au
préalable. "Les Américains ont informé le représentant de la Syrie
auprès des Nations unies que des frappes allaient être menées contre
l'organisation terroriste État islamique à Raqa (Nord)", a indiqué le
ministère syrien des Affaires étrangères. Une information démentie par
le département d'État américain, qui a assuré "ne pas avoir demandé la
permission au régime syrien" pour frapper. Mais Washington a toutefois
admis avoir "informé directement" Damas par le biais de l'ONU de son
intention d'agir, depuis l'annonce le 10 septembre de Barack Obama
d'étendre ses frappes en Syrie, sans pour autant apporter de précisions
quant à la date.
"C'est une manière de reconnaître la légitimité du gouvernement syrien,
ce qui constitue une victoire politique pour Bachar el-Assad, dont les
États-Unis réclament pourtant officiellement le départ", estime François
Heisbourg. Ainsi, la présence dans le ciel syrien d'avions de chasse,
de bombardiers et de drones américains, mais aussi d'appareils
saoudiens, jordaniens, émiratis, bahreïnis et qataris - des pays
réclamant depuis trois ans la chute de Bachar el-Assad -, n'a,
semble-t-il, pas dérangé Damas.
"Il est troublant que le très solide réseau de défense aérienne syrien
n'ait pas ciblé ces avions entrés largement dans l'espace aérien de la
Syrie, et qui, semble-t-il, n'ont subi aucune perte", pointe Joseph
Henrotin, chargé de recherches à l'Institut de stratégie et des conflits
et rédacteur en chef de la revue Défense et sécurité internationale.
"Cela pourrait indiquer que les Syriens ont laissé faire, ce qui en soi
est déjà une forme de collaboration avec les États-Unis."
Après avoir contribué à l'essor des mouvements djihadistes en Syrie - en
libérant, en 2011, des centaines d'islamistes de prison, puis en
épargnant relativement les positions de l'EI -, pour mieux disqualifier
ses opposants démocratiques de la première heure et diviser le clan
rebelle, Bachar el-Assad voit le "monstre" État islamique, qui contrôle
désormais le quart du territoire syrien et 60 % du pétrole, lui
échapper. Quoi de mieux, dès lors, qu'une coalition internationale de
pays "ennemis" pour effectuer la sale besogne à sa place ?
Est-ce donc un hasard si la télévision d'État syrienne, si prompte à
dénoncer les massacres des extrémistes financés par l'étranger, s'est
félicitée mardi que des "avions américains ont commencé à mener des
frappes contre des positions de l'organisation terroriste EI à Raqa" ?
D'autant que, pendant que les avions américains les bombardent, Bachar
el-Assad conserve toute latitude pour poursuivre sa reconquête des
territoires aux mains des rebelles, déjà affaiblis par leur lutte contre
les djihadistes.
Ainsi, en dépit des postures diplomatiques occidentales réclamant
toujours la tête du président syrien, et d'un curieux plan américain
visant à financer des "rebelles modérés" pourtant inexistants sur le
terrain, Bachar el-Assad semble pour l'heure avoir réussi son pari de
rester au pouvoir, coûte que coûte. "En se débarrassant de Bachar
el-Assad, c'est tout un système avec ses institutions qui tomberait, ce
dont profiteraient justement des groupes radicaux comme l'EI pour
s'implanter et administrer les territoires vacants", estime l'expert
Joseph Henrotin. "Nonobstant les milliers de morts qu'il a causés,
l'élimination de Bachar el-Assad est devenue quelque peu accessoire aux
yeux des chancelleries occidentales."
(25-09-2014 - Armin Arefi)
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