Le fief du groupe Etat islamique (EI) en Syrie est monochrome: tout y
est noir, depuis les turbans des hommes jusqu'aux voiles des femmes.
Même les passeports.
"Les drapeaux noirs de l'EI sont partout. Les femmes sont couvertes de
la tête aux pieds par des burqas noires et ne peuvent sortir de chez
elles que si elles sont accompagnées de leur père, leur frère ou leur
mari", déclare Abou Youssef, militant de la province de Raqa, bastion de
l'EI dans le Nord syrien.
Et les passeports de l'EI? "Noirs".
A Raqa, l'EI régit tous les aspects de la vie. Les jihadistes -- seuls
autorisés à posséder des armes -- paradent dans les rues, kalachnikov ou
pistolets au poing, et deux forces de sécurité distinctes sont chargées
de contrôler les femmes et les hommes, raconte Abou Youssef via
internet.
"La brigade Khansaa est composée de femmes membres de l'EI. Elles sont
armées et ont le droit d'arrêter et de fouiller n'importe quelle femme
dans la rue", explique le militant. La brigade Hesbeh agit de même avec
les hommes, se chargeant elle aussi d'imposer la vision de l'EI de la
loi islamique.
L'EI a également "des ministères pour tout ce que vous pouvez imaginer:
éducation, santé, eau, électricité, affaires religieuses et défense.
Tous les ministères occupent d'anciens immeubles du gouvernement". "Il y
a même une autorité de protection des consommateurs", ironise-t-il.
L'éducation est basée sur une stricte interprétation de la loi
islamique, et des camps d'entraînement pour les jeunes garçons ont été
mis en place, précise-t-il.
Les jihadistes interdisent aux habitants de profiter des lieux publics
auxquels eux-mêmes ont accès, rapportent régulièrement des militants à
Raqa, qui ont diffusé sur internet des photos montrant des cafés remplis
uniquement de jihadistes.
A Deir Ezzor, ville de l'Est syrien où les habitants ont vainement tenté de repousser l'EI, tous les cafés ont fermé.
"Rien de bon ou d'amusant n'est autorisé", déclare le militant Rayan
al-Fourati, via internet. "C'est impossible d'imaginer quelqu'un fumer,
ou vendre du tabac. C'est impossible de voir une femme sans voile
intégral. Et chaque jour, quand le muezzin appelle à la prière, tout le
monde ferme sa boutique et va à la mosquée, sous peine de prison".
Les jihadistes, eux, bénéficient de nombreux avantages.
Le salaire de base de l'EI est de 300 dollars par mois, selon Fourat
al-Wafaa, un militant de Raqa utilisant un pseudonyme. "Dans les
circonstances actuelles, cela représente beaucoup d'argent",
déclare-t-il via internet.
Mais cette générosité ne s'étend pas aux habitants.
"L'EI
n'est pas vraiment un Etat. Il donne à ses membres tous les avantages
qu'ils veulent, mais les autres citoyens n'en bénéficient pas", explique
Fourat. "C'est une mafia qui gouverne par la terreur. Et les gens sont
forcés par la faim à rejoindre leurs rangs, car c'est la seule manière
d'avoir un salaire décent".
D'autant que l'EI prélève des impôts: des commerçants, déjà appauvris
par la guerre, doivent ainsi payer 60 dollars par mois. "Même ceux qui
sont trop pauvres pour payer doivent s'y plier. Alors les gens
rejoignent (l'EI) car ils doivent choisir entre mourir de faim ou les
rejoindre et se livrer eux aussi à l'extorsion", déclare le militant.
Pour Rayan al-Fourati, qui a récemment fui Deir Ezzor, l'EI s'apparente à
un mouvement de colonisation. "De même qu'Israël a occupé la Palestine
avec les colons, la même chose s'est passée ici", déclare-t-il. "Il y a
des jihadistes étrangers, même des Américains, qui vivent avec leurs
familles là où nous vivions avant", déclare-t-il, utilisant un
pseudonyme.
Les jihadistes ont pris possession de champs pétroliers et gaziers, de
centrales électriques et de barrages, qu'ils maintiennent en activité,
versant un salaire supplémentaire aux employés de ces infrastructures,
qui continuent également à recevoir de l'argent du gouvernement syrien.
Selon Rayan, les employés appartenant à la minorité alaouite du
président Bachar al-Assad ont fui quand l'EI est arrivé dans la
province. Mais les autres sont restés, après avoir "reçu des garanties
qu'on ne leur ferait pas de mal".
Selon Nael Moustafa, un autre militant vivant toujours à Raqa et
contacté via internet, les jihadistes n'hésitent pas à fouiller les
maisons, les téléphones et les ordinateurs à la recherche de preuves de
ce qu'ils considèrent comme des pratiques "immorales". "Ils pensent que
tout appartient à Dieu et se trouve donc sous leur contrôle",
souligne-t-il.
(21-09-2014 - Assawra)
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