Pressée par ses alliés occidentaux, la Turquie a resserré ses frontières
pour tarir le flot des jihadistes qui rallient le groupe Etat islamique
(EI) mais sa répugnance à lui déclarer ouvertement la guerre continue
de nourrir les critiques et la suspicion.
Depuis des semaines, la stratégie du régime islamo-conservateur turc
face à la menace du mouvement radical sunnite responsable de viols,
rapts, exécutions et persécutions en Syrie et en Irak est au coeur de
toutes les interrogations.
Ses 800 km de frontière avec la Syrie placent géographiquement la
Turquie en première ligne. Mais politiquement, son gouvernement traîne
ostensiblement des pieds pour rejoindre la coalition anti-EI mobilisée
par les Etats-Unis.
La semaine dernière, Ankara a refusé de participer à toute "campagne
militaire" contre le groupe radical pour n'accepter qu'un rôle
"humanitaire".
Les dirigeants turcs ont dit et répété que cette discrétion visait
d'abord à ne pas mettre en péril la vie de leurs 49 citoyens enlevés en
juin par l'EI lors de l'assaut du consulat général de Turquie à Mossoul
(Irak). Ces otages ont été libérés samedi matin lors d'une opération des
forces spéciales turques et ont regagné sains et saufs la Turquie.
Nombreux sont ceux qui n'ont vu que dans cette explication qu'un prétexte facile.
Depuis des mois, l'opposition turque, des ONG et de nombreuses capitales
étrangères accusent Ankara d'avoir soutenu les rebelles les plus
radicaux en guerre contre le président syrien Bashar al-Assad, dont
l'EI, en leur livrant des armes ou en autorisant leurs allées et venues
de part et d'autre de la frontière.
La Turquie l'a toujours farouchement nié. "Présenter la Turquie comme un
pays qui soutient ou tolère le terrorisme relève de l'impertinence", a
grommelé cette semaine encore le président Recep Tayyip Erdogan.
Mais l'ambiguïté demeure. "La Turquie porte une responsabilité directe
dans la montée en puissance de l'EI et se trouve aujourd'hui très
embarrassée", juge Marc Pierini, ex-représentant de l'UE en Turquie et
chercheur à la fondation Carnegie Europe.
"Jusqu'à ces derniers mois, les jihadistes avaient libre accès au
territoire turc", ajoute-t-il. "Ca commence à changer sous la pression
des Occidentaux et parce que le régime a fini par réaliser que l'Etat
islamique représentait une menace pour sa sécurité".
La police turque a donc resserré sa surveillance à la frontière syrienne
et procédé récemment à plusieurs coups de filets très médiatisés dans
la mouvance islamiste. Les autorités se sont aussi engagées à couper
"l'autoroute du jihad" empruntée par les milliers d'apprentis
combattants venus, surtout d'Europe, rejoindre les rangs de l'EI.
Quelque 6000 "suspects" ont été interdits d'entrer sur le territoire
turc depuis un an, et un millier d'autres expulsés, affirment-elles.
Mais cet effort est encore loin de satisfaire les pays qui tentent
d'enrayer le flux de leurs ressortissants et, plus encore, de pister le
retour de ceux qu'ils jugent dangereux.
"Cette question n'est clairement pas une priorité turque", déplore un
diplomate occidental, "l'idée même de partager une information leur est
inconnue. Et quand finalement ils se décident à faire quelque chose,
c'est dans le cadre d'un marchandage".
Selon une source proche du dossier, l'arrestation en août en Turquie et
l'expulsion la semaine dernière d'un Français de 30 ans accusé d'être un
recruteur jihadiste a été l'occasion d'un bras de fer tendu entre les
deux pays: "il a fallu un coup de téléphone d'un haut responsable
politique français à son homologue turc pour qu'ils consentent
finalement à l'interpeller".
Mis en cause, les Turcs nient toute mauvaise volonté et dénoncent en retour le manque de coopération de leurs alliés.
"Les Européens ne nous donnent pas de liste, ils ne nous informent qu'à
la dernière minute ou une fois que les suspects sont chez nous. On ne
peut pas arrêter quelqu'un sur son seul nom musulman", plaide un
responsable turc, "on fait tout ce que l'on peut".
De l'avis des analystes, les raisons de la timidité turque face à l'EI
sont nombreuses: de la protection des otages au risque d'attentat sur
son territoire, en passant par la volonté de ne pas renforcer le régime
syrien et les rebelles kurdes de Turquie, dont les combattants sont
engagés en première ligne contre les jihadistes.
"Il existe en Turquie, dans une large fraction de la population comme au
sommet de l'Etat, une absence de volonté de condamner fermement l'EI",
résume Marc Pierini. "Cette position provoque une grande frustration
chez ses alliés", "et va s'imposer comme le problème numéro un dans les
relations entre Ankara et Bruxelles".
(20-09-2014)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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