Tout est en place : la grande roue, le manège des petits chevaux, les montagnes russes, les autos tamponneuses. Les familles arrivent aussi comme tous les vendredis, jour de congé, avec des hommes en tee-shirt poussant des landaus roses et des femmes vêtues de noir ou parfois d'un imperméable clair par 45 °C. Tout est là, mais quelque chose cloche. Rien ne fonctionne. En ces temps de rationnement de l'électricité, Bagdad attend la fin de la journée pour mettre en route son parc d'attractions al-Zaouraa, l'unique centre de loisirs de la région.
Mais qu'importe. La vue du gazon, des barbes à papa, des cornets de glace et des ours en peluche suffit à enchanter les visiteurs. "Nous arrivons ici à 8 h 30 et y restons toute la journée, dit Maher Hussein, 48 ans, venu avec sa femme et ses quatre enfants. C'est le seul moment où on oublie notre quartier et les informations tragiques de la télévision. Là où nous vivons, nous avons maintenant peur de notre voisin. Ici, il n'y a jamais eu d'attentats."
Les sourires s'affichent, mais les exactions de l'État islamique au nord et à l'ouest du pays ont réduit la fréquentation du parc. "Beaucoup de gens restent cloîtrés chez eux et j'ai du mal à écouler mes amandes, dit Marouane, un petit vendeur. En 2005, je suis parti pendant quatre ans en Turquie pour fuir la guerre confessionnelle. J'y songe de nouveau. J'aimerais me réfugier en France, mais vous avez décidé de n'accueillir que les chrétiens d'Irak. Qu'avez-vous contre les musulmans ?" s'étonne-t-il.
Ici, chacun a appris la visite de François Hollande. Et la voit d'un bon oeil. "On ne veut plus des Américains. Ils ont provoqué la division des chiites et des sunnites, mais vous, les Français, vous êtes les bienvenus, lance Ahmed, responsable de la grande roue et membre de la milice chiite de Moqtada Sadr. Mais contentez-vous de bombarder les positions de l'État islamique et ne mettez jamais le pied sur notre sol."
Il est 17 heures. Les manèges sont toujours à l'arrêt. Alors, les familles affluent vers le zoo attenant. Plutôt miséreux. Enfermés dans deux cages, une hyène efflanquée et un chien qui ne cesse d'aboyer se côtoient. Plus loin, trois lions demeurent couchés sur le flanc, écrasés par la chaleur. Le boa, lui-même, désespère les spectateurs en restant inerte face à une poule. "Je viens ici depuis que je suis gamin et rien ne change, dit Ali, étudiant en sciences politiques. On attend toujours un éléphant ou une girafe."
L'électricité arrive enfin. La grande roue se met en mouvement. Des exclamations montent au ciel. Pas pour longtemps. Bientôt, un hélicoptère surgit et entame une surveillance du parc. On n'entend plus que le bruit des rotors. Aujourd'hui, deux bombes ont encore explosé dans la ville.
(13-09-2014 - Avec les agences de presse)
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