dimanche 25 décembre 2016

Israël/Palestine : Comment Tsaha voit la sécurité d'Israël ? (Jean Guisnel)

 C'est peu dire qu'Israël observe la situation au Moyen-Orient comme le lait sur le feu. Le chaos est à ses portes, avec la Syrie à feu et à sang, l'Irak sens dessus-dessous, sans oublier l'alliance stratégique qui s'est nouée entre le Hezbollah, l'Iran et la Russie sur fond de guerre bien réelle entre sunnites et chiites. Sans oublier ni la menace terroriste ni la crise récurrente avec l'Autorité palestinienne autour des territoires occupés. Sans non plus laisser de côté le conflit larvé avec le Hamas à Gaza, suspendu à une éventuelle reprise des tirs de roquettes et du creusement de tunnels. Bref, la situation stratégique demeure toujours aussi tendue, alors que l'armée israélienne se prépare à une « troisième guerre du Liban » qu'elle estime inéluctable, après celles de 1982 et de 2006. À Tel-Aviv, le général aviateur Amikam Norkin, qui prendra dans quelques mois ses nouvelles fonctions de chef d'état-major de l'armée de l'air, se trouve pour l'heure à la tête du service de planification de l'état-major israélien des armées, chargé de l'anticipation stratégique et de la préparation des forces. C'est un homme-clé qui s'exprime peu, que nous avons pu rencontrer sur place dans le cadre d'un voyage organisé par l'association EIPA (European Israelian Press Association).
Aux yeux de cet officier à l'expression contenue, qui nous reçoit au ministère de la Défense à Tel-Aviv, les défis d'Israël se résument à un impératif, presque un slogan : « conserver notre liberté d'action ». Il ne doute pas que son pays se trouve aux avant-postes : « Nous sommes sur la ligne de front. Israël fait directement face aux défis sécuritaires menaçant le monde occidental ». De fait, la situation a changé du tout au tout chez les principaux voisins arabes de l'État hébreu : la Syrie, l'Irak et, dans une moindre mesure, le Liban, ne sont plus les mêmes qu'il y a cinq ans. En Syrie, Israël « traite » les rebelles en les attaquant directement quand Tsahal estime que la sécurité israélienne est en jeu. Ce fut le cas à deux reprises le mois dernier, lorsque Tsahal a riposté à des attaques de Daech dans le Golan. Nouvelles frappes le lendemain dans les environs de Damas, dont les conditions ne sont pas établies clairement. Pourquoi les forces russes n'ont-elles pas réagi, même pas verbalement ? Existe-t-il un accord secret sur ce point, laissant le champ libre aux Israéliens ? Question à ce stade sans réponse… S'agissant de la Syrie, Amikam Norkin appelle de ses vœux la naissance d'une confédération dans le cadre des actuelles frontières, composée d'entités homogènes kurde, sunnite (autour d'Alep et de Damas), alaouite sur la côte, complétées par une zone tampon au sud, sur la frontière israélienne. Le général prend toutefois soin de préciser qu'il s'agit là « de ce que nous pensons à l'intérieur de l'armée israélienne. Ce n'est pas une position du gouvernement. »
Dans un document de présentation de la stratégie militaire d'Israël, publié pour la première fois en juillet 2016, l'état-major ne prône pas une politique de défense, mais bien d'attaque immédiate en cas de menace : « L'hypothèse de base, c'est que l'ennemi ne peut être vaincu par la défense. Une force offensive est donc nécessaire pour atteindre des objectifs militaires définis. » Gabi Siboni, chercheur à l'INSS, voit dans cette affirmation « une approche complètement différente : en réponse aux provocations, les forces armées attaqueront l'ennemi en faisant appel à leurs capacités intégrées, immédiatement et simultanément. La manœuvre au sol se voit donner une grande importance dans son rôle remis à jour : pénétrer le territoire ennemi rapidement, pour mettre à mal la survivabilité des capacités de direction de l'adversaire et détruire ses infrastructures militaires. » Classant les menaces par priorité, l'état-major cite tout d'abord l'Iran, puis le Liban et ensuite la Syrie, suivis par les organisations politico-militaires Hezbollah et Hamas et enfin les « groupes terroristes sans affiliation directe avec un État ou une communauté spécifique », dont Daech. Du point de vue de la sécurité d'Israël, « ces organisations se battent pour devenir des États. Cela se traduit par une réduction de la menace d'invasion du territoire israélien, tout en maintenant celle de pénétrations limitées pour des activités terroristes ou de relations publiques ».
Quand il expose les défis purement sécuritaires qu'Israël doit affronter aujourd'hui et dans un avenir proche, Amikam Norkin évoque d'abord les armes létales permettant d'interdire une zone à un belligérant. Appelées en anglais A2AD (Anti-Access and Area Denial), il s'agit typiquement des armes antiaériennes, dont le fameux système russe S300, qui équipe les armées syrienne et iranienne. Ces armes sont difficilement franchissables, même pour une aviation de combat moderne. Deuxième menace : les armes de « destruction massive », surtout bactériologiques et chimiques. Puis vient la course régionale aux armements, mais parmi les pays arabes, l'Égypte et l'Arabie saoudite, les plus gros acheteurs d'armement sont considérés comme des États « coopératifs ». Quatrième entrave à la stratégie israélienne, la défense antimissile balistique qui pourrait – ce qui n'est évidemment pas dit – interdire une frappe de missiles nucléaires. Sur le plan de la tactique militaire, les Israéliens sont gênés par les adversaires qui cherchent à éviter les frappes en se protégeant au milieu de la population civile. Mosquées, hôpitaux, écoles, autant de lieux protégés que d'autres belligérants ne prennent pas en considération, alors qu'Israël dit le faire. Viennent ensuite, en sixième position donc, les groupes qualifiés d'« acteurs non étatiques violents », ou VNSA, qui peuvent aussi bien regrouper le Hezbollah et le Hamas que les groupes djihadistes ou assimilés. En queue de peloton on trouve, dans la vision militaire israélienne, la sécurité des frontières, puis la sécurité intérieure, ensuite les “loups solitaires” pratiquant un terrorisme sans affiliation précise, et encore la cybersécurité. Pour finir sur un point que le général Amikam Norkin considère comme particulièrement sensible : ce qu'il perçoit comme des atteintes à la « légitimité » d'Israël. Parmi celles-ci le mouvement de boycott des productions israéliennes dans les territoires occupés serait le plus inquiétant symbole. Une vision de la sécurité au sens le plus large, donc…

(23-12-2016 - Jean Guisnel)

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