Faut-il un dialogue national pour réconcilier les poids lourds de Nidaa
Tounes ? Alors que le Quartet, lauréat du Nobel de la paix, s'affiche à
l'Elysée à l'invitation de François Hollande, un nouveau front s'est
ouvert sur le champ de bataille du pouvoir tunisien. Au point que le
chef de l'Etat a dû se saisir du dossier, mercredi soir au palais de
Carthage. Autour de lui : Mohsen Marzouk, secrétaire-général du parti,
Hafedh Caïd Essebsi, son fils et tête de file d'un courant, Mohamed
Ennaceur, président de l'Assemblée nationale… Deux des plus hautes
autorités du pays se sont donc penchées sur le berceau du dernier né
(2012) de la politique tunisienne. En cause : la remise en question du
leadership de Mohsen Marzouk, l'alliance avec les anciens ennemis jurés
d'Ennahdha, la volonté de plusieurs députés de « changer le mode de
fonctionnement du parti », une contestation de l'action du premier
ministre Habid Essid... Les plateaux télé et les émissions de radio
fourmillent d'interviews d'élus, de caciques, qui oscillent entre la
langue de bois et l'allusion perfide. Une crise qui s'explique par le
plus vieux carburant politique : la course pour le pouvoir.
Un millefeuille d'alliances contradictoires
Le péché originel est lié à la construction de Nidaa Tounes. Une
coquille conçue pour donner les moyens de ses ambitions à Béji Caïd
Essebsi c'est à dire remporter les élections législatives et
présidentielles. Les fondations de la bâtisse NT se dérouleront sous la
houlette de l'homme d'affaires Nabil Karoui, propriétaire de la chaîne
Nessma TV. Puis BCE attire sur son nom des sensibilités diverses :
gauche, centriste, anciens du RCD (le parti du dictateur Ben Ali). Un
seul mot d'ordre : TSE, Tout Sauf Ennahdha. Nidaa Tounes atteindra ses
objectifs : 86 députés à l'ARP (sur 217) et victoire de BCE au second
tour de la présidentielle. Mais le régime parlementaire mis en place par
la nouvelle Constitution exige une majorité de 109 sièges pour pouvoir
gouverner, légiférer. Malgré une campagne de six mois d'invectives à
l'égard des islamistes, un accord est scellé entre Essebsi et Rached
Ghannouchi, le leader des islamistes. Depuis, les deux partis dominent
la vie parlementaire avec 155 élus. Une colossale majorité qui stabilise
le parlement tout en mécontentant à peu près tout le monde. Les grandes
lois qui doivent modifier en profondeur l'organisation du pays sont
remises à plus tard : la décentralisation notamment. La loi de
réconciliation économique, projet qui vise « à tourner la page du passé
», selon les mots du Président, n'a toujours pas été soumise au vote
malgré la certitude mathématique d'être votée. Nidaa Tounes qui reposait
sur le leitmotiv « Tout Sauf Ennahdha » a détruit son socle fondateur.
Trois clans s'affrontent
Presqu'un an après sa victoire aux législatives, Nidaa Tounes se divise
désormais en trois clans. L'un mené par Hafedh Caïd Essebsi, le fils du
Président de la République ; le second par Nabil Karoui qui se rêve un
destin politique; le troisième par le SG du mouvement. Sans parler de
fronde, on peut constater chez certains parlementaires une lassitude. Au
pouvoir depuis un an, ils ont dû accepté le deal avec les islamistes,
première couloeuvre, et observe que la situation économique ne
s'améliore pas. Certes, BCE avait expliqué dès son arrivée au pouvoir
qu'il « faudrait au moins deux ans avant d'inverser la tendance ».
L'absence de grandes réformes au calendrier de l'ARP et l'attente du
plan quinquennal en 2016 promis par le premier ministre Habib Essid
donne l'impression d'un temps mort politique. La démission du ministre
chargé des relations avec le parlement a servi de détonateur. Sa lettre,
destinée au Premier Ministre, a été publiée in extenso dans certains
médias. Lazhar Akremi y explique notamment qu'il « ne peut plus faire
partie d'un gouvernement qui n'a pas la volonté politique de faire face à
la corruption". L'homme, originaire de Gafsa, est un membre fondateur
du parti.
Régler les luttes avant la tenue du congrès national
Les militants de Nidaa Tounes ne sont pour l'instant pas consultés.
Mohsen Marzouk est le secrétaire-général d'un parti qui détient, même si
BCE en a démissionné sitôt élu, le palais de Carthage et 86 fauteuils à
l'ARP. Rançon du succès : les ambitieux sont légion. Cette agitation
prouve que les barons et leurs vassaux souhaitent l'emporter avant le
Congrès général prévu fin décembre. Pendant ce temps, chez Ennahdha, on
observe. Et on ne bouge pas un sourcil. Les élections municipales,
prévues au mieux fin 2016, seront le premier test politique après les
scrutins de 2014. "Une contre-réunion d'une partie de Nidaa Tounes se
tiendra à Djerba ce week-end. Sous la houlette de Hafedh Caïd Essebsi.
Réunion contestée ce matin dans un palace de Gammarth par des ténors du
parti réunis en bureau exécutif sous la houlette de Mohamed Ennaceur,
président de l'ARP, et de Mohsen Marzouk, le SG de Nidaa Tounes".
Ambiance.
(16-10-2015
- Benoît Delmas)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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