"On ne gouverne pas le pays, on le gère au jour le jour." Ce propos tenu
en septembre par un ministre préfigure le début de tempête qu'essuie
actuellement le pouvoir exécutif. Habib Essid, Premier ministre, a démis
de ses fonctions le ministre de la Justice après un bref entretien qui
s'est tenu entre les deux hommes. Sur la page Facebook de la primature,
le sort de Mohamed Salah Ben Aissa est publiquement scellé. Il est
remplacé par le ministre de la Défense. Cet ancien doyen de la faculté
des sciences juridiques de Tunis, professeur de droit public, avait
publiquement pris position contre l'article 230 du code pénal qui punit
de trois années d'emprisonnement l'homosexualité. Une prise de parole
qui faisait suite à la condamnation d'un jeune étudiant à Sousse. Le
ministre avait été déjugé publiquement par le président de la
République, Béji Caïd Essebsi. Ce juriste érudit, qui ne se réclame
d'aucun parti, s'est confié au Point Afrique.
Quel est le motif de votre éviction du gouvernement ?
Je n'ai pas accepté d'être présent à la séance de vote au Parlement du
projet de loi concernant le Conseil suprême de la magistrature. Je n'y
suis pas allé et ai dit au chef du gouvernement : "Je vais être là pour
cautionner un texte de loi qui ne répond pas aux règles
constitutionnelles ?" J'ai refusé de donner l'impression que le
gouvernement acceptait ce texte du fait de ma présence. En tant que
juriste, il m'aurait été difficile d'esquiver les questions de
compatibilité avec la Constitution. C'aurait été contre mes convictions.
Vous attendiez-vous à une réaction aussi brutale ?
J'ai été un peu surpris. Je m'attendais à ce qu'on trouve une solution transactionnelle à ce conflit.
Pensez-vous payer vos propos sur l'article 230 que vous souhaitiez abroger ?
Je ne peux pas l'exclure, je ne peux pas le confirmer. Mais c'est un peu tacite…
Si vous aviez été membre d'un parti, auriez-vous été évincé de la sorte ?
Je suis un homme indépendant. Je n'appartiens à aucun parti. Si le
ministre de la Justice était issu d'un des partis au pouvoir, ça ne se
serait pas déroulé ainsi.
Démission du ministre en charge des relations avec le Parlement,
éviction de celui de la Justice. Y a-t-il un problème avec le chef du
gouvernement ?
Je ne peux pas parler au nom de mes anciens collègues. Il m'est
impossible de m'exprimer à leur place. Je pense que les relations entre
le chef du gouvernement et ses ministres sont restées sur un modèle
ancien. Les ministres sont traités de façon "administrative". On n'a pas
compris qu'il faut évoluer avec la nouvelle Constitution, les principes
révolutionnaires… Un autre type de rapports doit s'instaurer entre le
Premier ministre et son gouvernement.
Quels sont les dossiers les plus urgents du ministère de la Justice ?
La carte judiciaire en premier lieu. Il nous faut améliorer la
couverture du territoire ainsi que l'infrastructure. Cela demande des
moyens budgétaires et techniques. Compte tenu de la situation en
Tunisie, cela n'est pas facile. La sécurité requiert des budgets
importants. Nous avons également besoin de repenser le contenu et les
méthodes de la formation à l'ISM, l'Institut supérieur de la
magistrature. Par ailleurs, le nombre des magistrats est insuffisant.
Pour ce qui est de l'administration de la justice, il nous faut
moderniser les rapports entre le ministère et les tribunaux. J'ai
d'ailleurs nommé un haut responsable à la modernisation afin de
numériser la justice. Sur une autre question, la surpopulation
carcérale, il faut une révision des peines légères et revoir toute la
procédure concernant les condamnations préventives. Les chantiers sont
nombreux et urgents.
(21-10-2015
- Benoît Delmas)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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