La petite école de Dokki reste désespérément vide, comme la plupart des
bureaux de vote du Caire. Joué d'avance en faveur d'un président qui
dirige l'Egypte d'une main de fer, les élections législatives en cours
suscitent peu d'intérêt.
Ce scrutin marathon, qui a débuté dimanche et s'étalera sur un mois et demi, se déroule sans opposition ou presque.
Le président Abdel Fattah al-Sissi, l'ex-chef de l'armée qui a réduit au
silence toute voix dissidente depuis qu'il a destitué il y a deux ans
son prédécesseur islamiste Mohamed Morsi, jouit d'une popularité telle
que même une partie de ses partisans se désintéresse à l'avance d'un
Parlement qu'ils perçoivent au mieux comme une chambre d'enregistrement
inutile, au pire comme un fardeau pour le président.
"C'est la participation la plus faible" depuis 2011, s'amusait lundi une
juge chargée de superviser le scrutin, dans la salle de classe déserte.
Comme d'autres magistrats dans deux autres bureaux de vote visités par
l'AFP, elle explique que la participation au premier jour dimanche n'a
pas dépassé les 15%.
"Le phénomène principal qu'on constate, c'est la faiblesse de la
participation," reconnaissait dès dimanche soir le président du syndicat
des juges égyptiens Abdallah Fathi sur une chaîne de télévision privée.
Et lundi, le quotidien indépendant Al-Masri Al-Youm clamait en une: "Le peuple ignore les députés".
Avec plus de 1.400 manifestants pro-Morsi tués, plus de 15.000 membres
de sa confrérie des Frères musulmans ou sympathisants emprisonnés et des
centaines condamnés à mort dans des procès de masse expéditifs, M.
Sissi a "éradiqué" comme il l'avait promis l'opposition islamiste.
Il s'en est pris ensuite à l'opposition laïque et libérale, en
interdisant ses manifestations et en faisant arrêter les figures de la
révolte populaire qui chassa du pouvoir Hosni Moubarak en 2011.
La majorité des Egyptiens voit toutefois M. Sissi comme le seul homme
fort capable de sécuriser le pays et de restaurer une économie à genoux.
L'idée que "l'Egypte n'a pas besoin de démocratie mais d'un homme fort"
est très répandue. Alors à quoi bon un Parlement ?
"Je ne vais pas voter, je ne veux pas prendre le risque d'avoir un
Parlement qui paralyse le président", résume Ramadan Saïd, mécanicien de
41 ans, en passant devant un bureau de vote.
"Tous les candidats se présentent pour la gloire, pas pour développer le pays", lâche-t-il.
- 'Le pain avant le vote' -
M. Sissi avait pourtant appelé samedi les Egyptiens à se rendre aux urnes.
Face à la faible mobilisation dimanche au premier jour, le gouvernement a
donné aux salariés du secteur public une demi-journée de congé lundi
pour aller voter, appelant le privé à "faciliter la participation".
Pour le politologue Azmi Khalifa, "le taux de participation est très
important pour le pouvoir: plus il sera élevé, plus la légitimité du
président sera grande".
"Cela ne sert à rien de participer, les résultats sont connus d'avance",
déplore Mohamed, 33 ans. "Il n'y a plus d'enthousiasme. Aux
législatives de 2011, il y avait des queues devant les bureaux de vote,
tout le monde voulait participer et donner son avis", se souvient le
jeune homme, qui avait alors voté pour les Frères musulmans de M. Morsi,
sortis victorieux du premier scrutin démocratique de l'histoire récente
de l'Egypte.
"Ce Parlement sera comme ceux de Moubarak, il ne fera rien d'autre
qu'approuver les décisions de ce régime répressif", se lamente-t-il.
Sur les réseaux sociaux, des Egyptiens n'ont pas manqué de souligner la
différence saisissante entre ce scrutin et celui de 2011 en partageant
des photos des interminables files d'attente d'alors, même sous la
pluie.
"Évidemment que je ne vais pas voter", s'amuse de son côté Mohamed
Al-Chérif, 26 ans. "En 2011, les gens avaient de l'espoir, aujourd'hui
ils l'ont perdu", ajoute le jeune homme qui a voté pour M. Sissi à la
présidentielle de 2014 mais ne cache pas sa déception: "Il nous a fait
beaucoup de promesses qui ne se sont pas concrétisées".
Un sentiment exprimé par le quotidien indépendant Al-Watan qui titrait lundi en une: "Le pain avant le vote".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire