Quatre ans après la mort de l'ancien dictateur libyen Muammar Kadhafi,
son héritage pèse encore sur le pays pétrolier miné par les violences et
les luttes de pouvoir et toujours en quête d'unité nationale.
"Kadhafi a fait émerger un Etat construit autour de sa personnalité"
durant les quatre décennies passées au pouvoir, explique Michael
Nayebi-Oskoui, spécialiste du Moyen-Orient au centre de réflexion
américain Stratfor.
Il "a utilisé l'argent du pétrole pour financer un appareil répressif
destiné à écraser toute forme d'opposition, plutôt que de construire des
institutions étatiques qui auraient pu lui survivre", dit-il. "Cela
prendra des années, ou des décennies, pour que la Libye puisse se
construire une identité nationale".
Tué le 20 octobre 2011 après huit mois de conflit déclenché par une
révolte populaire, Mouammar Kadhafi avait dirigé le pays d'une main de
fer après avoir pris le pouvoir en 1969 par un coup d'Etat, abolissant
le régime monarchique d'alors soutenu par l'occident.
Depuis, le pays à la structure essentiellement tribale est plongé dans
le chaos avec des combats meurtriers entre groupes armés rivaux et deux
autorités se disputant le pouvoir malgré les efforts de l'ONU de leur
faire accepter un gouvernement d'union nationale.
En août 2014, la capitale Tripoli est tombée aux mains de milices dont
certaines islamistes, qui ont installé une autorité rivale à celle
reconnue par la communauté internationale, contrainte de fuir vers
l'est, à Tobrouk.
Profitant du vide politique et de l'insécurité permanente, le groupe
jihadiste Etat islamique (EI) s'est implanté dans le pays cette même
année.
La Libye est aussi devenue le terrain de jeu de passeurs sans scrupules,
qui organisent pour des sommes colossales le départ vers l'Europe de
milliers de migrants en grande majorité africains sur des embarcations
de fortune, contribuant à faire de la Méditerranée un vaste cimetière.
"Tout ce que Kadhafi a laissé derrière lui est corrompu: la politique,
l'économie, la société et même le sport. Les lois, les règles de
fonctionnement (imposées par Kadhafi), il nous faut tout changer de A à
Z", a indiqué un responsable du gouvernement parallèle de Tripoli.
"Il a monté les tribus locales et les groupes ethniques les uns contre
les autres, ce qui explique la difficulté pour les Libyens de définir
aujourd'hui une identité nationale", analyse M. Nayebi-Oskoui.
Cet expert prédit que "le nom de Kadhafi restera omniprésent, notamment à
cause des procès de ses proches et des évènements qui lui sont liés et
refont surface, tel l'attentat de Lockerbie".
- '40 ans de chaos' -
La semaine dernière, des magistrats écossais ont identifié deux nouveaux
suspects libyens dans l'attentat contre un Boeing de la Pan Am
au-dessus de Lockerbie en 1988 (270 morts). Le régime Kadhafi avait
reconnu sa responsabilité dans l'attentat et payé 2,7 milliards de
dollars d'indemnisations aux familles des victimes.
Pour M. Nayeb-Oskoui, Kadhafi laisse derrière lui "une nation fracturée"
et "continuera de hanter les esprits jusqu'à ce que l'on puisse
dépasser les 40 ans de chaos qu'il a instaurés".
De plus, l'économie risque un effondrement total si le conflit perdure,
avertissent des responsables libyens. Kadhafi avait fait du pétrole le
principal moteur de l'économie du pays mais les exportations ont chuté
de plus de moitié, à 400.000 barils par jour, en raison du chaos.
Et l'ONU n'a pas encore réussi à obtenir des protagonistes leur accord
pour la formation d'un gouvernement d'union nationale malgré les appels
répétés de la communauté internationale à sa mise en place pour sortir
le pays de la crise.
Sur les murs de Tripoli, des graffitis peu flatteurs de l'ex-dictateur sont peints, dont l'un le représente dans une poubelle.
Mardi soir, les habitants de la capitale devaient se rassembler dans le
centre-ville pour célébrer le 4e anniversaire de la mort de celui qui se
faisait appeler "le roi des rois d'Afrique".
"Avant, nous avions même peur de regarder même en direction de son QG",
raconte Ahmad, un vendeur de cigarettes. "Les choses ont changé bien
sûr, mais cette peur, nous la ressentons encore à chaque fois qu'on
passe devant les murailles et elle nous fait penser à lui (Kadhafi). Il
faudra des générations pour qu'elle disparaisse définitivement".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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