Shem's FM. 8 heures. La radio privée (fondée par l'une des filles de Ben
Ali) accueille le président de l'académie Goncourt. Bernard Pivot est
la star de la matinale. Apostrophes était diffusé en Tunisie via Antenne
2. Sobre, avec des éclairs d'enthousiasme, l'homme insiste sur le choix
du musée du Bardo pour annoncer les quatre finalistes de l'édition
2015. « Se rendre dans un lieu où un crime abominable a été commis à
l'encontre de gens qui manifestaient leur curiosité pour l'art et la
culture est un acte démocratique », dit-il. Et d'affirmer que « de voter
pour des livres, c'est affirmer la liberté d'écrire, de penser, de
pouvoir être soi-même ». Une définition de la démocratie qui tombe à pic
dans un pays en proie à de multiples difficultés. Une confidence avant
de quitter le micro : Hedi Kaddour, le national de l'étape (né à Tunis),
pourrait être présent dans « le sprint final » avec Les Prépondérants.
Sous la houlette du président Pivot, six académiciens Goncourt ont
multiplié rencontres, débats et signatures à Tunis et dans sa banlieue
nord, à La Marsa. À la croisée du politique, du symbolique et de la
littérature, cette forte présence intellectuelle a revigoré les
librairies de Tunis. Bernard Pivot a dédicacé Les Tweets sont des chats
dans la seule librairie du cœur de Tunis, Al Kitab. Paule Constant, prix
Goncourt en 1998 pour Confidence pour confidence, l'accompagnait. Elle a
vécu une partie de sa vie en Afrique. Didier Decoin, colosse à la voix
de marin, présentait son Dictionnaire amoureux des faits divers à vingt
kilomètres de là, à la librairie Clairefontaine, située en face du lycée
français Gustave-Flaubert, à La Marsa, le Neuilly-St Trop du Grand
Tunis. Prix Goncourt en 1977 pour John l'enfer, fils du cinéaste Henri
Decoin, l'homme est un auteur flamboyant, romanesque en diable.
L'Institut français, flambant neuf, préparait le débat Régis
Debray-Youssef Seddik (auteur du pertinent Nous n'avons pas lu le Coran)
consacré au « fait religieux ». En fin de journée, l'ambassadeur de
France François Gouyette recevra ce petit monde dans sa résidence de La
Marsa. Le dernier rendez-vous tunisois de ce raid mené tambour battant.
Coup de projecteur sur la littérature française
La présidence tunisienne a déroulé le tapis rouge pour la venue de
l'aréopage lettré. L'avion présidentiel, un Airbus siglé Habib
Bourguiba, a embarqué journalistes et invités depuis Paris jusqu'à
l'aéroport de Tunis-Carthage. Salon d'honneur, voitures officielles,
sécurité ad hoc dans un climat de menaces terroristes (deux soldats tués
le 12 octobre, un berger exécuté dans le centre du pays) : la
délégation littéraire a oscillé entre politique – rencontre avec le
président de la République, Béji Caïd Essebsi –, symbolique – le Bardo,
lieu de culture et de respect aux morts – et médiatique. Les enfants ont
été les plus réceptifs à cette venue. La visite au lycée Bourguiba fut
un succès. Pour cause de vacances scolaires, les établissements français
n'ont pas bénéficié de l'événement.
Ce coup de projecteur sur la littérature française ne doit pas
dissimuler les obstacles à son désamour en Tunisie. Le prix de vente des
livres est exorbitant : il faut compter 50 dinars en moyenne pour un
grand format, soit un sixième du smic tunisien. De rares éditeurs, Actes
Sud principalement, pratiquent un rabais de 30 % sur les ouvrages
distribués sur place. Les points de vente se comptent sur les doigts des
deux mains. Par ailleurs, la lecture vit des heures difficiles. À
l'occasion de la foire du livre du Kram, l'institut de sondage EMRHOD
Consulting a délivré les résultats d'une enquête consacrée aux Tunisiens
et la lecture. Il en ressort que 79 % n'ont pas ni livre ni journaux à
leur domicile, et que 81 % de la population n'a pas ouvert un livre lors
des 12 derniers mois. L'opération Goncourt tente donc de remettre le
roman au cœur de l'actualité. Pas gagné…
Du Nobel aux Goncourt, la multiplication des soutiens
Dans son éditorial du 27 octobre, le quotidien d'État La Presse de
Tunisie estime que « plus qu'un geste de compassion ou de soutien, ces
assises littéraires sont une marque de confiance en la Tunisie et en les
perspectives qu'elle peut s'offrir et offrir ». Après le Nobel de la
paix, les Goncourt, preuve que les soutiens à la démocratie tunisienne
sont légion.
La star Bernard Pivot s'envolera mercredi matin pour Paris. Le Goncourt
sera décerné le 3 novembre. Si Boualem Sansal ou Hedi Kaddour venait à
l'emporter, ce serait l'Afrique du Nord qui serait à l'honneur. Tant par
ses sujets (le religieux dans 2084, la colonisation dans Les
Prépondérants) que par les origines des auteurs. Rendez-vous dans 8
jours. 13 heures, chez Drouant. As usual.
(27-10-2015
- Benoît Delmas)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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