L'Algérie continue de s'interroger sur la portée du nouveau remaniement
du gouvernement marqué par des changements aux postes-clés des Finances
et de l'Énergie dans un contexte difficile dû à la chute des revenus
pétroliers. Nouredine Bouterfa, le PDG de la société publique Sonelgaz,
est nommé ministre de l'Énergie en remplacement de Salah Khebri, tandis
que le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, est remplacé par
l'actuel ministre délégué chargé du Budget, Hadji Baba Ammi. Il s'agit
du cinquième remaniement du gouvernement du Premier ministre Abdelmalek
Sellal depuis sa nomination en 2012. Salah Khebri et Abderrahmane
Benkhalfa n'étaient en poste que depuis un an. Ils étaient entrés au
gouvernement lors du dernier remaniement en mai 2015.
La raison du remaniement n'a pas été précisée, mais il intervient à un
moment où des vues divergentes se sont exprimées sur la façon de
relancer la croissance économique. La politique de la rente a atteint
ses limites et il faut juguler une crise qui est en train de se
propager. Le pétrole et le gaz représentent 60 % du budget de l'État et
près de 95 % des exportations de l'Algérie. Les réserves de changes
s'élèvent à environ 140 milliards de dollars (124 milliards d'euros),
mais elles sont en baisse. Les recettes tirées de l'énergie ont diminué
d'environ 50 % en 2015. L'Algérie a pris un certain nombre de mesures
pour s'adapter à la baisse des prix des hydrocarbures, avec notamment le
relèvement des prix de l'électricité et des carburants, une réduction
des projets d'infrastructures et une réduction des dépenses budgétaires.
Le débat est vif entre les réformateurs qui souhaitent rendre
l'économie algérienne moins dépendante des recettes liées à
l'exploitation des hydrocarbures et la vieille garde qui souhaite
conserver un système économique dominé par l'État. L'incertitude est
renforcée par les interrogations autour du sort du président Abdelaziz
Bouteflika. Certains anticipent une démission du chef de l'État avant la
fin de son mandat prévue en 2019.
Ces changements interviennent quelques jours après une réunion de la
Tripartite réunissant le gouvernement, le patronat et les syndicats qui a
planché sur un « nouveau modèle économique » alternatif à la rente
pétrolière. « L'Algérie dispose des facteurs pour une émergence
économique. Il nous faut donc aller chercher la croissance ailleurs,
c'est-à-dire dans la sphère économique réelle là où l'entreprise,
publique ou privée est la clé de voûte », a déclaré le Premier ministre
Abdelmalek Sellal. « Ce modèle de croissance intègre un cadrage
budgétaire sur les court et moyen termes, réaménagé en fonction des
éléments factuels de conjoncture tout en maintenant les objectifs de
croissance et d'édification d'une économie émergente fixés par
l'autorité politique. L'objectif est d'aboutir, en bout de cycle, à des
niveaux soutenables en matière d'équilibres des finances publiques »,
a-t-il poursuivi, fixant le cap.
Ce remaniement « montre les préoccupations du gouvernement à l'heure où
les organismes internationaux les plus sérieux et les observateurs les
plus avertis agitent le spectre de la crisé économique », a relevé le
quotidien El Watan. Pour le site économique Maghreb Emergent, « le
naufrage du secteur de l'énergie » est la « cause principale du
remaniement ». Ce secteur, qui assure à l'Algérie 60 % de son budget et
95 % de ses recettes externes, souffre en effet d'un ralentissement des
investissements étrangers et d'une baisse de l'exploration et de la
production. Le pays a vu ses revenus pétroliers chuter de 39 % au
premier trimestre de cette année par rapport à la même période de 2015, à
5,5 milliards de dollars (4,85 milliards d'euros) contre 9,1 milliards
(8 milliards). Pour y faire face, les autorités ont puisé dans les
réserves de change, renoncé à de nombreux projets d'infrastructures et
annoncé une réforme des retraites. Mais d'autres mesures douloureuses
sont attendues, en particulier de la part du nouveau ministre de
l'Énergie, Noureddine Boutarfa, un ingénieur qui dirige depuis plus de
10 ans la stratégique société publique de l'électricité et du gaz
(Sonelgaz). Il est connu pour souhaiter l'arrêt des soutiens au prix de
l'électricité alors que la consommation est en constante augmentation
dans ce pays de 40 millions d'habitants. Selon les experts, cette
consommation en énergie primaire a plus que triplé en 10 ans, passant à
58 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) en 2015 contre 17
millions de tep en 2005. « Avec la chute des prix du pétrole, M.
Boutarfa sait que Sonelgaz ne pourra pas réaliser son programme
d'investissement de 25 milliards de dollars et milite donc pour une
hausse du prix de l'électricité », a expliqué à l'AFP un ancien ministre
des Finances, sous le couvert de l'anonymat. « Cette doctrine seule ne
fait pas une politique énergétique complète, mais peut servir de base
pour un gouvernement qui doit réduire en urgence le gaspillage des
énergies fossiles », analyse Maghreb Emergent.
Aux Finances, Abderahmane Benkhalfa cède la place au ministre délégué au
Budget, Haji Baba-ammi. Son départ était attendu depuis une attaque en
règle d'Amar Saïdani, le chef du Front de libération (FLN), le parti au
pouvoir, qui l'a jugé en mars « incompétent ». Ce dernier, considéré
comme un proche de M. Bouteflika, avait aussi vivement critiqué le
gouverneur de la Banque centrale, Mohamed Laksaci, récemment limogé. «
M. Benkhalfa a promis beaucoup de changements sans avoir les moyens de
les réaliser », estime l'économiste Abdelkader Mechdal, qui juge « pas
normal » son remplacement après seulement un an d'exercice. « C'est la
preuve d'un manque de visibilité » du pouvoir, selon lui. Le ministre a
échoué à faire appliquer son plan de lutte contre l'économie informelle,
une plaie majeure de l'économie algérienne, en ne parvenant pas à
diriger vers les banques les sommes colossales qui circulent sous forme
de liquidités. Ces « liquidités extrabancaires » sont évaluées à 3 700
milliards de dinars (37 milliards de dollars). Parmi les autres
changements au sein du gouvernement figure le départ du doyen des
ministres Amar Ghoul (Tourisme), qui a enchaîné les postes depuis
l'élection de M. Bouteflika en 1999. Le profil de M. Ghoul, un islamiste
modéréElra, donne à ce changement une connotation politique dans un
contexte marqué par les interrogations sur la succession de M.
Bouteflika, âgé de 79 ans.
(14-06-2016 - Par Idriss Elram)
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