Il est 16 h 45 au ministère du Développement. Au 5e étage d'un bâtiment
déserté, ramadan oblige, Yassine Brahim est en forme. Le ministre ne
sera interrompu que par un seul coup de fil : celui du Premier ministre
Habib Essid qui veut s'assurer que celui qui est aussi le leader du
parti Afek Tounes (libéral social) est prêt pour la réunion du
lendemain. On doit discuter entre partis de la future feuille de route
du futur gouvernement. Une semaine auparavant, à son domicile, Rached
Ghannouchi philosophait sur les délais nécessaires pour sa mise en
place. Le leader d'Ennahda, première force au Parlement, jugeait que ça
prendrait le temps que ça prendrait. À la présidence de la République,
par la voix d'une de ses conseillères, on estimait il y a huit jours que
la fumée blanche sortirait avant l'Aïd-El-Fitr (6 juillet). Ghannouchi
évoque le 25 juillet désormais. De tous les bords politiques, hormis le
Front populaire, on explique qu'il faut « aller vite, frapper fort,
accélérer les réformes, remettre le pays au travail ». Depuis vingt-huit
jours, il semble cependant urgent de discuter. L'actuel Premier
ministre vit des jours difficiles. Les islamistes, devenus parti civil
depuis leur congrès national, le soutiennent faute d'un remplaçant jugé
satisfaisant. Chez Nidaa Tounes, le parti de Béji Caïd Essebsi, les voix
sont de plus en plus discordantes. Certains optent pour Essid comme la
corde soutient le pendu. Ce haut fonctionnaire qui dirige la Kasbah
depuis 2015 est soumis à une situation intenable. Les rumeurs toxiques
n'aident pas. La radio Mosaïque FM, la plus importante du pays,
annonçait son hospitalisation. Un démenti a suivi. Ambiance…
La quadrature du cercle
Un proche des pouvoirs indique que le choix du futur patron du
gouvernement nécessite plusieurs curseurs : « Il doit être
Nidaa-compatible, Ennahda-compatible, UGTT-compatible, société
civile-compatible, etc. » L'union sera à ce prix. Quelques noms ont
fuité, des fuites orchestrées ou alimentées par Carthage. Parmi eux :
Slim Chaker, ministre des Finances, Néji Jalloul, ministre de
l'Éducation nationale, Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale,
Mustafa Kamel Nébli, ancien gouverneur de la BCT… D'autres ont
spontanément fait acte de candidature : Ahmed Néjib Chebbi
principalement. Les réunions se succèdent entre partis, autour de BCE.
Bilatéral, trilatéral, octolatéral… Les principaux leaders doivent se
mettre d'accord sur l'action que devra mener ce gouvernement. Et choisir
l'un d'entre eux. Beaucoup estiment que BCE a déjà fait son choix, mais
qu'« il ne carbonisera pas sa principale carte ».
BCE a mis la classe politique au pied du mur
En fin politique, le président Essebsi a contraint tous les dirigeants à
se positionner et à accepter sa proposition. « Ils ont tous compris
qu'un nouvel échec serait collectif, il n'y aura ni bons ni méchants,
ils seront tous comptables aux yeux des Tunisiens », analyse un
conseiller d'un chef de parti. Autour de la table des négociations :
Nidaa Tounes, Ennahda, Afek Tounes, Mohsen Marzouk, ex-SG de Nidaa ayant
fait sécession à l'automne avec 26 députés, le syndicat UGTT sans qui
aucune réforme (notamment l'augmentation de l'âge de la retraite) ne
peut se faire. Avec ses 500 000 adhérents, la centrale syndicale a le
pouvoir de bloquer le pays. Le patronat se fait plus discret, mais
milite en coulisses pour une remise en marche de l'économie au plus
vite. Le ramadan a mis l'économie au ralenti, un peu plus encore. Si les
négociations politiques ont occupé les quatre dernières semaines,
l'économie devra reprendre ses droits au plus vite.
(30-06-2016 - Benoît Delmas)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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