Ce matin, le Premier ministre Habib Essid recevait les ambassadeurs du
G7 à Carthage. Ce soir, une interview de Béji Caïd Essebsi a été
diffusée sur la première chaîne publique, la Wataniya 1. Le président de
la République a déclaré être en faveur « d'un gouvernement d'union
nationale ». Et de préciser que le Premier ministre Essid pouvait le
diriger. Ou pas. Une déclaration qui intervient après plusieurs semaines
de déstabilisation à l'égard de ce dernier et de son équipe
ministérielle.
Habib Essid a fait les frais d'une campagne médiatique alimentée par le
microcosme politique. La une du Quotidien du 18 mai était intégralement
consacrée à ce sujet, photo du locataire de la Kasbah à l'appui. Et de
citer les états d'âme distillées par visiteurs et conseillers de
Carthage. L'un de ces derniers : un personnage clé de la galaxie
présidentielle. Croisé fortuitement, il décapite l'équipe
gouvernementale en trois phrases, sans langue de bois, évoquant des
ministres « incapables de faire le job, de communiquer avec les
Tunisiens ». Et de préciser que « le président, lui, dans le cadre de
ses prérogatives, la politique étrangère, agit ». Un propos tenu
spontanément qui démontre qu'une partie de Carthage avait décidé de
lâcher l'actuel occupant du 10 Downing Street tunisois. Désigné à ce
poste le 5 janvier 2015, Habib Essid n'a pas une mission facile.
Sans appartenance politique, ce haut fonctionnaire doit composer avec
une coalition de quatre partis dans un contexte économique et social
abrasif. L'homme a hérité d'une situation périlleuse : chômage et
inflation à la hausse, productivité et investissements à la baisse,
menace terroriste permanente. Son premier budget ne lui laisse presque
aucune marge de manœuvre. Le recours aux prêts (FMI, Banque mondiale…),
aux dons (la France a accordé un milliard d'euros sur quatre ans) et aux
aides en atteste. Seul un redémarrage économique encouragé par des
réformes structurelles pourrait contribuer à relancer une croissance
trop faible (1 % au premier trimestre 2016) pour créer de l'emploi.
Changer Essid signifierait alors changer de politique. En septembre
dernier, un ministre lâchait, amer, « nous ne gouvernons pas, nous
gérons au jour le jour ». La décision de changer de Premier ministre
n'incombe pas au président de la République mais aux parlementaires
selon la Constitution. Aux groupes qui soutiennent Habib Essid de
décider de son sort. D'après BCE, c'est le cas. Sans omettre
l'importance d'Ennahda, allié indéfectible depuis la séquence électorale
de 2014. Si la formation retire sa confiance au gouvernement, 69 élus
(sur 217), les jours seront comptés pour ce dernier. Pour l'instant, le
parti de Rached Ghannouchi a effectué sa mue en séparant la politique de
la prédication. La proposition énoncée par BCE vient au lendemain d'une
rencontre entre les deux hommes. On imagine que des noms ont été
évoqués pour succéder à Essid.
La volonté présidentielle est, selon ses propos, issue de rencontres
avec les leaders des principales formations politiques. Selon son
analyse, BCE estime que ce que les réseaux sociaux nomment le « GUN »
(gouvernement d'union nationale) n'aurait de sens que si l'UGTT et
l'UTICA l'intégraient. M. Abassi, le secrétaire général du puissant
syndicat, a déjà répondu par la négative. Pour l'UTICA, sa présidente
Ouided Bouchamaoui expliquait avoir déjà refusé à deux reprises le job
de Premier ministre car elle veut diriger, trancher, avancer. Ce qui est
plus que délicat quand quatre partis constituent le socle
gouvernemental. En 2013, un dialogue national avait été instauré pour
mettre en place un gouvernement de technocrates. Mais le tempo politique
n'était pas similaire. Nidaa Tounes a remporté les élections
législatives pour un mandat de cinq ans fin 2014. Et BCE a été élu
président de la République tunisienne pour un quinquennat. Une union
nationale a-t-elle du sens quand les urnes ont tranché ? Et changer
Habib Essid et ses ministres a-t-il une réelle efficacité ? BCE mise
beaucoup sur le plan quinquennal 2016-2020 qui sera présenté fin
novembre aux investisseurs internationaux. Seule certitude : ce sera le
sixième gouvernement que connaîtra la Tunisie en cinq ans.
(03-06-2016 - Benoît Delmas)
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