vendredi 3 juin 2016

Tunisie : Vers un gouvernement d'union nationale ? (Benoît Delmas)

Ce matin, le Premier ministre Habib Essid recevait les ambassadeurs du G7 à Carthage. Ce soir, une interview de Béji Caïd Essebsi a été diffusée sur la première chaîne publique, la Wataniya 1. Le président de la République a déclaré être en faveur « d'un gouvernement d'union nationale ». Et de préciser que le Premier ministre Essid pouvait le diriger. Ou pas. Une déclaration qui intervient après plusieurs semaines de déstabilisation à l'égard de ce dernier et de son équipe ministérielle.
Habib Essid a fait les frais d'une campagne médiatique alimentée par le microcosme politique. La une du Quotidien du 18 mai était intégralement consacrée à ce sujet, photo du locataire de la Kasbah à l'appui. Et de citer les états d'âme distillées par visiteurs et conseillers de Carthage. L'un de ces derniers : un personnage clé de la galaxie présidentielle. Croisé fortuitement, il décapite l'équipe gouvernementale en trois phrases, sans langue de bois, évoquant des ministres « incapables de faire le job, de communiquer avec les Tunisiens ». Et de préciser que « le président, lui, dans le cadre de ses prérogatives, la politique étrangère, agit ». Un propos tenu spontanément qui démontre qu'une partie de Carthage avait décidé de lâcher l'actuel occupant du 10 Downing Street tunisois. Désigné à ce poste le 5 janvier 2015, Habib Essid n'a pas une mission facile.
Sans appartenance politique, ce haut fonctionnaire doit composer avec une coalition de quatre partis dans un contexte économique et social abrasif. L'homme a hérité d'une situation périlleuse : chômage et inflation à la hausse, productivité et investissements à la baisse, menace terroriste permanente. Son premier budget ne lui laisse presque aucune marge de manœuvre. Le recours aux prêts (FMI, Banque mondiale…), aux dons (la France a accordé un milliard d'euros sur quatre ans) et aux aides en atteste. Seul un redémarrage économique encouragé par des réformes structurelles pourrait contribuer à relancer une croissance trop faible (1 % au premier trimestre 2016) pour créer de l'emploi. Changer Essid signifierait alors changer de politique. En septembre dernier, un ministre lâchait, amer, « nous ne gouvernons pas, nous gérons au jour le jour ». La décision de changer de Premier ministre n'incombe pas au président de la République mais aux parlementaires selon la Constitution. Aux groupes qui soutiennent Habib Essid de décider de son sort. D'après BCE, c'est le cas. Sans omettre l'importance d'Ennahda, allié indéfectible depuis la séquence électorale de 2014. Si la formation retire sa confiance au gouvernement, 69 élus (sur 217), les jours seront comptés pour ce dernier. Pour l'instant, le parti de Rached Ghannouchi a effectué sa mue en séparant la politique de la prédication. La proposition énoncée par BCE vient au lendemain d'une rencontre entre les deux hommes. On imagine que des noms ont été évoqués pour succéder à Essid.
La volonté présidentielle est, selon ses propos, issue de rencontres avec les leaders des principales formations politiques. Selon son analyse, BCE estime que ce que les réseaux sociaux nomment le « GUN » (gouvernement d'union nationale) n'aurait de sens que si l'UGTT et l'UTICA l'intégraient. M. Abassi, le secrétaire général du puissant syndicat, a déjà répondu par la négative. Pour l'UTICA, sa présidente Ouided Bouchamaoui expliquait avoir déjà refusé à deux reprises le job de Premier ministre car elle veut diriger, trancher, avancer. Ce qui est plus que délicat quand quatre partis constituent le socle gouvernemental. En 2013, un dialogue national avait été instauré pour mettre en place un gouvernement de technocrates. Mais le tempo politique n'était pas similaire. Nidaa Tounes a remporté les élections législatives pour un mandat de cinq ans fin 2014. Et BCE a été élu président de la République tunisienne pour un quinquennat. Une union nationale a-t-elle du sens quand les urnes ont tranché ? Et changer Habib Essid et ses ministres a-t-il une réelle efficacité ? BCE mise beaucoup sur le plan quinquennal 2016-2020 qui sera présenté fin novembre aux investisseurs internationaux. Seule certitude : ce sera le sixième gouvernement que connaîtra la Tunisie en cinq ans.

(03-06-2016 - Benoît Delmas)

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