Un palais emmailloté dans du barbelé : tel est le siège de l'Assemblée
des représentants du peuple. L'attentat commis au musée du Bardo, le 18
mars, a modifié la décoration. Une somme de barrières constitue un
itinéraire élaboré pour parvenir jusqu'aux policiers, vêtus de gilets
pare-balles, fusils en mains, qui montent la garde devant la grille
latérale, entrée des artistes de la politique. Il est 9 h 41 lorsque la
sonnerie signifie aux députés qu'il est l'heure de regagner leurs
sièges. Certains vont déposer leurs sacoches avant de ressortir. Et
grillent une ultime cigarette – sous le panneau d'interdiction – avant
de rejoindre la séance menée par le président de l'Assemblée, Mohamed
Ennaceur. Le doyen des lieux, 81 ans, distribue la parole, impassible.
Un compteur digital limite le temps de parole de chaque élu.
Le jeu politique gâche tout suspens
Tout de go, Ons Hattab, jeune députée virago, déclare que « le peuple
tunisien doit remercier Dieu, car il y a un parti, Nidaa Tounes, qui
change les choses en Tunisie ». À gauche du demi-cercle, le Front
populaire tonne contre les violences policières constatées lors des
manifestations menées contre le projet de loi de réconciliation
économique. On évoque « le retour de la dictature » à maintes reprises.
Le verbe rugit, tant la voix des leaders de l'extrême gauche est rompue
aux réunions publiques. Ils pourraient se passer de micros. Quand un
député Ennahda succède aux cousins maghrébins de Jean-Luc Mélenchon, le
filet vocal se fait eau tiède. Depuis le balcon, un journaliste explique
qu'on « peut se passer des premières minutes, il va redire la même
chose en conclusion ». Puis l'élue Zoghlami remet du punch dans un
hémicycle si sage. Depuis le balcon, on observe telle une maison de
poupée l'attitude des présents. Certains lisent la presse, d'autres
pianotent sur leurs téléphones, facebookent, chuchotent à l'oreille de
leurs voisins de travées. La vie parlementaire, comme ailleurs. Après
une heure de courts monologues, pause.
« Nous, députés, sommes l'origine du pouvoir »
Au sous-sol du palais du Bardo, édifié au XIVe siècle, la buvette se
compose d'une dizaine de tables, d'un long comptoir, rien
d'ostentatoire. Cafés et eau minérale sont les seules boissons
proposées. On sirote un capucin, on se réunit, on se salue. Bises de
pacotilles et politesses d'usage, celles dont on n'écoute pas la
réponse. Clin d'œil, le ministre chargé des relations avec le parlement
feuillette Le Point… Puis fait le tour des tables, en complet couleur
crème. Les plus gradés, les Constituants, rédacteurs de la Constitution
de la IIe République du pays, côtoient les nouveaux, ceux issus des
législatives d'octobre. Ainsi de Brahim Nassef. Ce docteur d'État en
pharmacie explique avoir « toujours suivi la politique sans jamais
l'avoir pratiquée ». Puis des amis, dirigeants du parti de Béji Caïd
Essebsi, l'ont pressé d'être candidat à Bizerte. Huit mois après ses
débuts parlementaires, il évoque « un sentiment mélangé » pour bilan. «
C'est un beau challenge, les députés sont plus importants que les
ministres, nous sommes l'origine du pouvoir », dit-il pour satisfaction.
Jilani Hammami du Front pop
Ses déceptions ? « La découverte d'une certaine mentalité au sein de la
classe politique. » Et de citer la bête noire de la coalition
gouvernementale, « le Front populaire qui à chaque séance plénière nous
fait perdre un temps fou en s'opposant pour s'opposer ». À quelques
chaises de là, Jilani Hammami, député dudit Front pop. Costume noir,
chemise blanche et lunettes rectangulaires, l'homme n'a rien du diable
présenté par ses rivaux politiques issus de la majorité. Il déplore que «
parmi les dossiers urgents, la coalition gouvernementale a choisi celui
de la réconciliation économique et non celui de la réforme de l'armée,
de l'appareil sécuritaire, des mass-medias ». Très carré lors de sa
démonstration, Jilani Hammami constate « qu'aujourd'hui la révolution ne
connaît pas beaucoup de réalisations (le Parlement, la Constitution) et
que le gouvernement et la présidence procèdent actuellement à la
révision de ces réalisations ». Et d'enfoncer le clou : « Ils
n'acceptent pas les manifestations de la société civile et la police
procède dans les rues à des interventions draconiennes. » Une attaque
frontale à l'égard des quelques manifestations (Tunis, Sidi Bouzid)
réprimées par la police. Il indique que « nous retrouvons les mêmes
visages que sous Ben Ali » dans les rangs de l'appareil sécuritaire.
En off, des points de vue contradictoires
Des discussions off, il ressort que certains élus du parti présidentiel
s'inquiètent de la situation sociale. L'un avoue « que la Tunisie n'est
pas gouvernée, elle est gérée au jour le jour sans vision à moyen terme
». Un autre estime que « l'ARP votera la loi de réconciliation
économique, mais que politiquement nous serons perdants ». Du côté des
alliés de Nidaa, on est serein. Quasi décontracté. Houssine Jaziri,
ancien secrétaire d'État sous Ennahda, affiche une aisance naturelle.
Costume d'un excellent tailleur, cravate adaptée, l'homme a de
l'assurance. Dans le hall de l'Assemblée, il dit n'avoir aucun problème
avec cette loi, car « elle apportera la paix sociale ». Message : il est
temps de passer à autre chose. Et d'asséner : « Ça ne rapportera pas un
dinar ! » Les repentis étant censés investir dans les régions
défavorisées via une amende de 5 % sur les sommes litigieuses. Il confie
que « les jeunes d'Ennahda n'acceptent pas cette loi ». Ce qui pourrait
causer des soucis lors du prochain congrès du parti ? L'élu de la 1re
circonscription en France pense qu'il « n'y aura pas de congrès, pas
besoin ! » Ça tombe bien, Nidaa Tounes a fixé les dates de son raout :
19 et 20 décembre. Les islamistes laisseront le parti du président se
déchirer (ou pas), se donnant ainsi le temps de réunir les militants
décontenancés par l'alliance avec Nidaa et le vote probable en faveur de
la loi de réconciliation. Dans l'arène de l'ARP, tout en moquette verte
et boiseries, les calculs politiques sont faits. Nidaa et Ennahda
totalisent 155 députés sur 217. De quoi légiférer en paix. Le palais du
Bardo vit des heures tranquilles, très IVe république française, tout en
s'inquiétant des spasmes de la rue.
(09-09-2015 - Benoit Delmas)
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