Il y a cinq ans, ou presque, le peuple tunisien se souleva contre une
dictature qui lui avait volé, non seulement son pain quotidien, mais
aussi sa dignité ou, pour être plus précise, sa raison de vivre. Puis ce
fut le tour de l’Égypte qui, sous le slogan « Pain, liberté, dignité
humaine », tenta d’avancer sur la voie du changement après avoir mis fin
à de longues années d’oppression.
Mais la situation difficile qui sévissait en Tunisie et en Égypte n’était pas unique en son genre parmi les pays arabes.
Monarchies, émirats ou républiques, les régimes arabes ainsi appelés
avaient, tous, sans exception aucune, un point en commun : l’iniquité
ou, plutôt, la répression face aux revendications de leurs peuples. Ces
peuples qui en avaient assez de vivre dans la misère tandis que les
têtes des régimes (et leurs proches) s’enrichissaient à vue d’œil,
amassant des fortunes colossales. Ces peuples qui souffraient dans leur
chair la répression chaque fois qu’ils tentaient de faire entendre à
ceux qui les gouvernent l’impossibilité pour eux de vivre dans le
sous-développement tandis que les fortunes que recèle la terre arabe va à
quelques familles imposées par des puissances impérialistes, ou autres,
dont elles entretiennent, surtout à la suite de la crise de 2008, les
économies branlantes. Voilà pourquoi le succès que connut le mouvement
populaire en Tunisie et en Égypte fit boule de neige dans le Monde arabe depuis l’Océan Atlantique jusqu’au Golfe arabique.
Un mouvement de fond, basé sur une longue histoire de luttes sociales et
politiques, allant de la « révolte du pain », en 1977, en Égypte aux
grèves des ouvriers dans le Golfe, aux manifestations, un peu partout,
des jeunes sans avenir et des femmes marginalisées par des idéologies
sectaires.
Un mouvement réunissant, donc, toutes les conditions objectives du
changement, depuis Bahreïn et le Yémen (et, à une moindre échelle, le
Koweït) jusqu’au Liban, mais, en même temps, un mouvement immature, vu
que les forces du changement, surtout les forces de gauche, n’étaient
pas prêtes à le diriger.
La raison de cette faiblesse?
D’abord, et surtout, la répression qui avait duré plusieurs décennies et
jeté, sous différents prétextes, des milliers et des milliers de
militants, surtout des intellectuels et des cadres, dans des cachots
d’où peu sont sortis indemnes.
A cela s’ajoutent l’exil et les guerres de toutes sortes, à commencer
par celles d’Israël toujours aussi meurtrières contre les deux peuples,
palestinien et libanais, et à finir par les guerres impérialistes,
directes ou indirectes, menées contre l’Irak, la Syrie, mais aussi la
Lybie. Sans oublier, bien entendu, les guerres de religion et les
guerres confessionnelles qui constituent des armes de division
redoutables et qui alimentent le terrorisme au même titre que la
marginalisation, la pauvreté et l’ignorance.
Qu’est-ce que le terrorisme qui sévit au Moyen Orient ? Quelles sont ses origines et pourquoi est-il devenu un danger imminent ?
Il y deux sortes de terrorisme dans notre région.
Le premier, terrorisme d’État, est utilisé par Israël (et aussi les États-Unis)
contre le peuple palestinien et les autres peuples de la région. Cette
forme de terrorisme se traduit par des assassinats, des explosions et
des guerres d’agression utilisant, souvent, les drones, ou les bombes
que l’on peut faire exploser à distance, pour en finir avec un leader
palestinien ou libanais (tel notre ex secrétaire général Georges Haoui
qui fut assassiné, il y dix ans, à l’aide d’une bombe placée sous le
siège de sa voiture). Il nous faut ajouter que ce terrorisme fut
pratiqué depuis la fin des années trente et la première moitié des
années quarante par des groupes sionistes (Irgoun, Haganah, Stern et
autres) dont les chefs devinrent des responsables israéliens, tel
Menahem Begin et Ariel Sharon.
Le second est le terrorisme pratiqué par les nouveaux groupes, tels
DAECH, An Nosra et, surtout, de moins nouveaux, dont, en particulier, «
les Frères musulmans » qui ont su toujours profiter de la situation de
répression et de marginalisation pratiquées par les régimes arabes - les
ultra réactionnaires comme ceux qui se prétendaient socialistes -
contre leurs peuples, afin de recruter les mécontents et les maltraités ;
et, fait insolite, ces groupes ont aussi profité de l’appui politique
et financier de certains milieux influents au sein des monarchies du
Golfe notamment.
Il faut dire qu’à la suite des soulèvements des peuples arabes, les
puissances impérialistes en crise et voulant maintenir leur mainmise sur
les sources d’énergie de la région, ont soutenu ces groupes
terroristes, tantôt directement et tantôt par le truchement des régimes
qui leur sont inféodés, espérant par là, soit mettre en échec les
peuples aspirant au changement, soit faire avancer le projet dit du «
Nouveau Moyen Orient » qui visait à réduire le Monde arabe en miettes et
à créer, au lieu des Etats actuels dont l’Accord de Sykes–Picot avait
dessiné les frontières, et sur des bases confessionnelles surtout
(sunnite et chiite) de nouveaux mini États qui se font la guerre. Ce qui
facilitera aux puissances impérialistes, les États-Unis surtout, et à
Israël d’asseoir leur influence sur la région dans laquelle on vient de
découvrir de nouveaux gisements de gaz et de pétrole.
Et, si les États-Unis et l’Union européenne, mais aussi la Russie,
parlent, aujourd’hui, de la nécessité d’élargir la coalition contre
DAECH, afin d’englober les régimes syrien et iranien et la Turquie aux
côtés de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Irak, ils le
font dans un consensus permettant, plus tard, d’avoir chacun sa part du
gâteau.
Quelle est la situation du Liban dans tout cela ?
Voilà pourquoi la guerre se poursuit de plus belle en Syrie et au Yémen;
et voilà pourquoi le Liban se trouve à nouveau dans une situation
précaire, non seulement sur le plan de la sécurité, avec les groupes
terroristes qui sévissent depuis deux ans déjà à ses frontières (aidés,
pour certains d’entre eux. par Israël), mais aussi sur les plans
politique et socio –économique.
Sur le plan politique, d’abord. La classe politique libanaise, divisée
sur des bases d’intérêts et de tutelle entre le groupe dit du « 14 mars »
(pro saoudien et pro étasunien) et celui dit du « 8 mars » (pro iranien
et pro syrien), ne s’est pas contentée d’empêcher toute possibilité de
réformes politiques, grâce au clivage qu’elle réussi à créer entre les
Libanais divisés verticalement en clans religieux et confessionnels,
elle a, aussi, mis en veilleuse les institutions politiques... en
attendant de voir comment la situation politique et militaire dans la
région va-t-elle évoluer et, par conséquent, qui aura (de DAECH ou du
régime de Bachar Assad) aura la victoire.
Ainsi, le Liban vit sans président de la République depuis mai 2014. De
plus, et à défaut d’élections législatives, le parlement a prolongé deux
fois de suite son mandat, sous prétexte que la situation aux frontières
ne permet pas le jeu des élections. En même temps, et vu la façade
confessionnelle sous laquelle se cache la bourgeoisie libanaise pour
gouverner, le gouvernement, toujours ne œuvre, ne peut prendre des
décisions qu’à l’unanimité, c’est-à-dire qu’il a besoin du consentement
de tous les ministres qui représentent les différentes confessions
religieuses du pays.
Cette situation d’immobilisme fait que l’armée libanaise, présente sur
les frontières afin de lutter contre les groupes terroristes, n’a pas de
couverture politique réelle ; et, elle n’aurait pu tenir le coup sans
l’appui qui lui fut apporté par les forces politiques progressistes
(dont le Parti Communiste libanais) faisant appel à la population de se
constituer, une fois de plus, en Résistance nationale contre l’occupant, comme fut le cas de 1982 à 2000 contre Israël.
Sur le plan socio-économique, la situation va de mal en pire.
Le Liban, déjà très endetté, depuis la fin de la guerre civile en 1990
et les politiques économiques des différents gouvernements mis en place,
souffre aussi, depuis 2008, des répercussions de la crise systémique du
capitalisme, mais aussi, depuis 2011, de la guerre en Syrie qui fit
affluer plus de 1.500.000 réfugiés, à majorité pauvres, venus
s’ajouter aux 500.000 réfugiés palestiniens et aux 1.260.000 pauvres
libanais (soit 28% de la population) qui se disputent le peu d’emplois
existant et qui vivent dans la misère la plus noire, privés d’eau,
d’électricité et de tous les services de base.
On peut imaginer l’ampleur de la crise sociale découlant d’une telle
situation, surtout si l’on y ajoute le fait de la concentration des
richesses entre les mains de quelques 2% de la population (l’oligarchie
financière) seulement dont les revenus ont augmenté 100 fois durant
les quelques dernières années. Crise qui a engendré une tendance vers le
fondamentalisme religieux nourri par les grosses sommes d’argent
distribuées par les « amis » de l’Arabie saoudite et du Qatar, d’une
part, et ceux de l’Iran, d’autre part. Mais, elle aussi abouti, du fait
des batailles menées par les syndicats ouvriers de gauche, qui ont
quitté la CGTL inféodée au régime, et ceux de la fonction publique, à
regrouper une partie de l’opinion publique autour de l’idée que le Parti
Communiste libanais avait toujours soulevée, à savoir que le régime
politique confessionnel, utilisé par la bourgeoisie libanaise, est
arrivé au point de sa chute . En effet, ce régime était désormais incapable de
se régénérer et allait de crise en crise, les unes plus aiguës que les
autres. D’où la nécessité d’œuvrer pour le changement, tout en sachant
que la bourgeoisie et ses alliés vont tout utiliser afin de l’empêcher… y
compris la répression à outrance des mouvements populaires, tel que
nous avons vu les 22 et 23 aout dernier à Beyrouth, ou encore le 2
septembre actuel, lors de l’occupation du ministère de l’environnement
par quelques dizaines de mécontents.
Quel est ce mouvement populaire qui a amené plus de 150 000
personnes, des jeunes surtout, sur les places centrales de la capitale
libanaise, Beyrouth ?
Il est vrai que le mouvement a commencé du fait de l’amoncellement des
déchets domestiques et industriels à Beyrouth et sa large banlieue, et
il est aussi vrai que des groupes écologiques, dont celui de Nehmeh, de
Barja, « Vous puez » ainsi que « l’Union de la Jeunesse Démocratique
Libanaise » (UJDL), en furent à la base. Mais, il est aussi vrai que
tous ces mouvements avaient pour antécédents d’autres mouvements de
masses, depuis les manifestations des ouvriers de l’électricité, en
passant par les pêcheurs, les jeunes descendus dans les rues en 2011
sous le slogan « Le peuple veut en finir avec le régime confessionnel »,
mais aussi les fonctionnaires, les enseignants surtout, sans oublier
les pauvres de Beyrouth que l’on veut chasser de la capitale à travers
le vote d’une loi inique sur les loyers. Le mouvement qui se déploie
aujourd’hui est, donc, le fait d’un cumul de luttes, mais aussi une
réponse directe aux luttes intestines, confessionnelles, qui ont
envenimé plus encore la situation précaire d’une grande partie de la
population.
Des infiltrés par la classe politique et autres dans ce mouvement ? Il
n’en manque pas, comme dans tout mouvement que la bourgeoisie et ses
tuteurs étrangers veulent noyauter; cependant, l’ampleur du mouvement,
qui échappe de par son programme à la volonté des émirs des confessions,
ne laisse présager que du renouveau.
Ce programme repose sur le slogan global « Pour un État civil et
démocratique, un État social » et dont la porte d’entrée est une loi
électorale basée sur la proportionnelle et en dehors des quotas
confessionnels. C’est un programme qui a aussi une base socio-économique
solide, allant du droit au travail aux services sociaux, aux droits des
femmes, à l’enseignement public, et à l’appui qui doit être procuré aux
secteurs productifs de l’économie.
C’est, surtout, un programme soutenu par des organisations militantes:
des syndicats ouvriers, des cadres, des organisations de jeunes, de
femmes, des groupes d’avocats, de médecins, d’ingénieurs, non seulement
sur le plan national, mais dans chaque région, dans chaque village et
hameau.
Voilà pourquoi nous pouvons dire que ce mouvement, basé sur tous ceux
qui l’ont précédé, est différent d’eux, parce que plus ciblé et plus
clair, parce que c’est un mouvement en dehors des clivages
confessionnels, échappant, donc, aux pressions de la classe politique et
de ses tuteurs étrangers. Et voilà pourquoi il ne faut pas le laisser
tomber dans les complots de la classe politique au pouvoir qui tente
aujourd’hui de l’étrangler, non seulement par la répression féroce, mais
aussi par la nouvelle « table de dialogue » entre ses principales
composantes. Sans oublier la théorie du complot basée essentiellement
sur la calomnie et dénigrement qui disent que le mouvement populaire est
fomenté par les États-Unis, comme avant lui celui connu par d’autres pays du Monde arabe.
Les prochains jours, les prochains mois seront très importants pour
nous, Communistes libanais, qui avons placé le programme de notre
Onzième congrès, qui se tiendra bientôt, sous le signe du regroupement
de toutes les forces démocratiques et laïques sur la voie du changement,
à commencer par la lutte contre l’impérialisme et le terrorisme qu’il
engendre dans notre pays et dans le monde, l’imposition d’un État laïque
ayant pour base des statuts individuels civils et unifiés.
Parce
qu’ainsi le PCL pourra déterminer, avec toutes celles et tous ceux dont
l’intérêt direct est de mettre fin au régime politique confessionnel, au
capitalisme sauvage et arriéré auquel la bourgeoisie libanaise s’est
inféodée de par sa naissance-même.
Parce qu’ainsi le PCL pourra ouvrir la voie à la création des bases
matérielles pour aider à construire le socialisme au Liban et dans le
Monde arabe.
(Fête de l’Humanité – septembre 2015)
D. Marie NASSIF-DEBS
Secrétaire Générale Adjointe du Parti Communiste libanais
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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