La montée en puissance de la Russie en Syrie affole les Occidentaux mais
quel est l'objectif de Vladimir Poutine ? Sauver Bashar? Défaire les
jihadistes de l'Etat islamique ? Oui. Mais aussi mettre les deux pieds
en Syrie, centre de gravité du Proche-Orient.
Après plus de quatre ans d'une guerre civile marquée par l'émergence de
l'Etat islamique et par l'échec collectif des Occidentaux, des Arabes et
de la Russie à régler un conflit qui a fait plus de 240.000 morts et
provoqué l'exode de millions de réfugiés, le président russe a pris
l'initiative.
Fin juin, il a d'abord proposé la création d'une grande coalition
militaire qui s'appuierait en partie sur l'armée syrienne pour combattre
l'Etat islamique. Et parallèlement, alors que son chef de la diplomatie
Sergueï Lavrov tentait de vendre l'idée à ses homologues américain et
saoudien, ainsi qu'aux différents groupes d'opposants syriens, le
complexe militaro-industriel russe accélérait ses livraisons d'armes au
régime de Damas.
Dans un second temps, les passionnés de bateaux ont assisté à Istanbul à
un ballet de navires de guerre russes passant par le détroit du
Bosphore et se dirigeant vers le port syrien de Tartous, où la Russie
dispose d'installations logistiques.
Dernier acte ces dernières semaines: les satellites américains ont
enregistré une recrudescence d'activités militaires russes sur un
aéroport de seconde zone, au sud du fief pro Assad de Lattaquié.
Hélicoptères, bombardiers, avions d'attaque au sol, chars, soldats:
selon Washington et l'Otan, l'armée russe construit une base aérienne
militaire.
Si ce déploiement se vérifiait officiellement, et surtout s'il était
utilisé, il s'agirait du tout premier engagement officiel de la Russie
sur un théâtre de guerre éloigné depuis l'intervention soviétique en
Afghanistan en 1979. L'armée russe ne s'était pas aventurée depuis la
fin de l'URSS (1991) au-delà de l'ex-URSS : en Géorgie en 2008.
- Passer à l'action -
A Moscou, une source diplomatique russe haut placée résume l'état
d'esprit au Kremlin: "ce n'est plus le moment de tergiverser. Nous
passons de la théorie à la mise en oeuvre pratique de nos propositions".
Ce n'est pas le premier coup de poker de Vladimir Poutine dans cette
crise. Fin août 2013, Barack Obama avait renoncé à des frappes aériennes
immédiates proposées par la France sur les installations du régime
syrien, et s'était retranché derrière l'avis du Congrès. Le chef de
l'Etat russe avait alors mis dans la balance la destruction des armes
chimiques syriennes. Résultat: Bashar al-Assad avait échappé aux frappes
et retrouvé de la crédibilité et de la légitimité.
Deux ans plus tard, les efforts de Moscou visent au même objectif :
soutenir l'armée syrienne et s'implanter en Syrie, un pays au carrefour
de toutes les problématiques géopolitiques au Proche-Orient, à deux pas
du Liban multiconfessionnel, de l'Irak chiite aux prises avec les
combattants sunnites, du royaume hachémite et de la Turquie, Sublime
Porte vers l'Europe.
"L'intensification de nos activités a commencé quand nous avons compris
que la coalition (menée par les Etats-Unis) était vouée à l'échec et
qu'il n'y avait pas de plan clair pour le futur", révèle la porte-parole
de la diplomatie russe, Maria Zakharova.
Pour l'expert militaire russe Alexandre Golts, si l'armée russe déploie des forces en Syrie, c'est bien pour s'en servir.
"C'est comme dans le théâtre de Tchekhov : si la pièce prévoit qu'un
fusil soit sur la scène, c'est qu'il doit être utilisé", estime M.
Golts, considérant des bombardements comme "possibles".
- Zone d'influence -
Pour un haut responsable syrien, cette implication militaire est un
"tournant". "Moscou veut rappeler aux États-unis que ses relations avec
Damas datent d'il y a plus de cinquante ans et que ce pays est dans sa
zone d'influence. C'est aussi un message aux pays de la région que la
Russie entend y redevenir un acteur principal", explique-t-il.
"Pour les Etats-Unis, la Syrie n'est pas une affaire qui touche à ses
intérêts nationaux, et c'est pourquoi Obama n'est pas intervenu. Pour la
Russie, il s'agit d'une affaire qui touche directement ses intérêts en
raison de sa position en Méditerranée et au Moyen-Orient", résume ce
responsable.
Quel impact possible sur le terrain ? "Même quelques sorties simples, de
petites interventions très modestes élèveront le statut de la Russie et
son pouvoir", estime Tony Cordesman, du groupe de réflexion CSIS
(Center for strategic and international studies) à Washington.
L'engagement militaire russe dans la région a toutefois ses limites:
face au port de Tartous et à l'apparente base russe de Lattaquié, les
Etats-Unis disposent elles de bases militaires en Arabie saoudite, en
Turquie, en Egypte, à Bahrein, au Qatar, dans les Emirats Arabes unis et
à Oman.
(25-09-2015
- Avec les agences de presse)
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