Une petite fille Syrienne, sur une autoroute, à la frontière entre la Serbie et la Hongrie.
(Photo: Reuters)
Le débat qui fait rage en Europe sur la nécessité d'imposer des quotas de réfugiés pour chaque pays de l'Union nécessite de se pencher sur le cas des trois États les plus généreux en matière d'accueil de Syriens. Et ce sont ses voisins les plus proches.
Turquie : au moins 2 millions de réfugiés
La Turquie est le pays le plus généreux. Tablant sur une chute rapide de Bachar el-Assad, le président turc Recep Tayyip Erdogan a dès 2011 entièrement ouvert les frontières de son pays aux civils syriens fuyant les bombardements de l'armée, puis les exactions du groupe État islamique. Sur place, les Syriens n'ont pas le statut de réfugié mais d'"invités". En acceptant de se soumettre à ce statut temporaire, les Syriens se voient octroyer une carte de résidence leur garantissant l'accès à nombre de services sociaux dont bénéficient les citoyens turcs (santé, éducation). Pour accueillir ses "invités", Ankara n'a pas lésiné sur les moyens et a construit 25 camps, notamment dans l'est du pays, pour un montant avoisinant les 5,5 milliards de dollars.
Or, seuls 15 % des réfugiés syriens en Turquie (soit 265 000 personnes) résident dans ces camps, les autres vivant dans les grandes villes du sud du pays (notamment à Gaziantep), mais aussi à Istanbul, qui compte pas moins de 350 000 réfugiés syriens. En effet, outre la capacité limitée des camps, la majorité des Syriens préfère mener une vie normale en dehors de ces installations. Sauf que la présence durable de cette population étrangère et précaire, à la main-d'oeuvre bon marché, est devenue un facteur de tension grandissante avec les populations locales, provoquant plusieurs incidents.
De l'avis des experts, cette population syrienne, n'ayant pas vocation à rentrer en Syrie, constitue une véritable "bombe à retardement", notamment au vu du notable ralentissement de l'activité économique en Turquie. Résultat, les forces de sécurité turques ont en juin dernier pour la première fois repoussé des réfugiés syriens kurdes qui voulaient pénétrer en Turquie alors qu'ils tentaient d'échapper aux combats opposant miliciens kurdes et djihadistes de l'organisation État islamique.
Liban : au moins 1,1 million de réfugiés
Le pays du Cèdre accueille l'équivalent du quart de sa population en réfugiés syriens, soit le ratio le plus élevé au monde. Échaudé par l'expérience palestinienne – le Liban abrite depuis soixante ans quelque 400 000 réfugiés palestiniens n'ayant pas vocation à partir –, Beyrouth n'a pas voulu bâtir de camp pour les Syriens, qui habitent dans des campements informels – souvent rudimentaires – à travers le pays. En septembre 2014, le Liban annonce toutefois l'ouverture de deux camps censés accueillir 10 000 personnes chacun. S'ils n'ont pas le statut de "réfugiés", les Syriens bénéficient toutefois de la plupart des services sociaux de base par le biais des institutions publiques.
Cet afflux de migrants met en tout cas à rude épreuve les nerfs de l'opinion publique libanaise, qui voit affluer sur son territoire des centaines de milliers de populations sunnites susceptibles de déstabiliser la fragile mosaïque confessionnelle composant le pays, qui compte pas moins de 18 communautés religieuses. Qui plus est dans un pays officiellement "neutre" dans le conflit syrien, mais en réalité déchiré politiquement entre chiites soutenant Bachar el-Assad et sunnites partisans de la rébellion syrienne. Sous occupation syrienne pendant vingt-neuf ans, le Liban est ensuite resté sous l'influence de Damas malgré le départ de ses derniers soldats en avril 2005, après l'assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri, dans lequel le régime de Bachar el-Assad est fortement soupçonné.
Ce n'est donc pas un hasard si le pays du Cèdre a directement subi les contrecoups de la révolution syrienne. À partir de 2012, des affrontements ont éclaté entre quartiers alaouites et sunnites dans la ville de Tripoli, puis se sont élargis à Beyrouth et à d'autres villes. Les Libanais ont particulièrement mal accueilli la dégradation de la situation sécuritaire dans des villes proches de la frontière telle Aarsal (Est), qui compte des dizaines de milliers de réfugiés tenus pour responsables. En août 2014 notamment, une incursion dans cette localité de djihadistes venus de Syrie avait entraîné des combats avec l'armée libanaise, faisant des dizaines de morts.
L'accueil massif de réfugiés pèse également lourdement sur les finances publiques du pays, qu'il s'agisse des hôpitaux, des écoles ou des services publics. Leur accès strictement réglementé au marché du travail alimente de fait le secteur informel et provoque de fortes tensions avec les Libanais. D'après le FMI, le chômage a "quasiment doublé" depuis le début de la crise syrienne et frappe désormais 20 % de la population active, tandis que la croissance économique de 2 % est bien inférieure au niveau qui était le sien avant le début de la révolution.
Ces menaces pesant sur l'avenir du Liban ont amené les autorités à infléchir leur politique pour limiter l'entrée des réfugiés syriens, qui se sont vu imposer en début d'année 2015 une obligation de visas et un durcissement des mesures d'entrée à la frontière. Des procédures coûteuses de renouvellement de séjour ont également été imposées. Déjà fragilisés sur le plan économique, les réfugiés syriens du Liban ont souffert en juillet de la décision du Programme alimentaire mondial de réduire de moitié son aide mensuelle à 13,50 dollars (12 euros) par personne, en raison du manque d'aide internationale.
Jordanie : au moins 629 000 réfugiés
Ils sont 1,4 million de réfugiés (soit 20 % de la population totale de 6,5 millions d'habitants) selon le royaume hachémite. 629 000 réfugiés enregistrés selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). Pour faire face à cet afflux sans précédent, l'ONU a construit deux vastes camps dans le nord de la Jordanie. Le premier, Zaatari, ouvert en juillet 2012, rassemble quelque 80 000 réfugiés. Le second, Azraq, en compte seulement 22 000 pour une capacité d'accueil de 50 000 personnes. Chaque réfugié y reçoit une aide alimentaire mensuelle de 28 dollars, distribuée sous forme de carte électronique à recharger chaque mois.
Mais les conditions de vie spartiates dans les installations onusiennes – des conteneurs disposés sur le sable du désert jordanien – poussent 85 % des Syriens à vivre en dehors des camps pour tenter de mener une vie "plus normale". Problème, à l'extérieur, si les réfugiés sont libres, ils ne sont pas autorisés à travailler ni à demander l'asile auprès d'ambassades occidentales. Quant aux enfants, ils éprouvent les plus grandes difficultés à accéder à l'éducation.
L'afflux de réfugiés, qui pèse sur la Jordanie, pousse le pays à fermer ses frontières. En juin dernier, l'organisation Human Rights Watch révélait les sévères restrictions imposées depuis mars par les autorités jordaniennes aux Syriens à la frontière orientale du pays, laissant des centaines d'entre eux errer dans le désert. Le 19 septembre, le Premier ministre jordanien Abdallah Nsour soulignait "le poids et la pression exercés par les réfugiés syriens sur le royaume", déplorant le manque de ressources et d'aide de la communauté internationale.
Ce manque de dons a contraint le Programme alimentaire à exclure de son aide mensuelle plus de la moitié des réfugiés syriens "de la communauté [en dehors des camps, NDLR]". Et avec une aide alimentaire mensuelle réduite à 14 dollars (12,40 euros), les Syriens "de la communauté" sont plongés dans une situation d'extrême pauvreté, si ce n'est de survie. Si les familles qui conservent un peu d'argent tentent la dangereuse traversée vers l'Europe, les plus pauvres sont condamnées à rentrer au pays.
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