(Photo correspondant Assawra)
A l'entrée nord de Beyrouth, une vision apocalyptique s'offre à la vue des passants: une montagne de déchets dégageant une odeur putride, qui témoigne que la "crise des ordures" ayant agité le Liban ces derniers mois est loin d'être terminée.
Cette pile de déchets est le plus grand des dépotoirs sauvages adoptés comme solution provisoire à cette crise qui dure depuis deux mois à Beyrouth et ses environs et avait donné lieu à des manifestations inédites contre la classe politique.
Le principal dépotoir est situé à Karantina, une zone industrielle située non loin des meilleures adresses pour la vie nocturne beyroutine comme les quartiers branchés de Gemmayzé et Mar Mikhaël.
Ce lundi, la décharge a atteint sa capacité maximum, poussant la compagnie privée Sukleen à annoncer qu'elle cessait de collecter les déchets dans la capitale.
Comme en juillet dernier, les déchets ont commencé mercredi à s'amonceler de nouveau dans des quartiers résidentiels de Beyrouth et de ses banlieues.
"La situation est devenue insupportable, affirme à l'AFP Ali Yaacoub, un chauffeur travaillant dans une compagnie non loin de la décharge. "Nous passons ici six heures par jour parmi les odeurs et les insectes".
A quelques mètres de "la montagne de Karantina" --comme on la baptise désormais--, Ali et trois de ses collègues prennent leur petit-déjeuner autour d'une table en plastique, en chassant des essaims de mouches.
"J'ai presque perdu le sens de l'odorat", se plaint un superviseur de la compagnie, affirmant que ses employés souffrent de "vomissements, de diarrhée et de maux d'estomac".
"Les matières organiques fermentent, multipliant les bactéries qui provoquent les diarrhées et parfois des inflammations cutanées", explique à l'AFP un expert de l'environnement Ziad Abi Chaker. "Des maladies pourraient se propager si la crise perdure", prévient-il.
A l'origine de celle-ci, la fermeture le 17 juillet de la déchetterie de Naamé, au sud de Beyrouth.
Sous la pression de la rue, le gouvernement a annoncé un plan de sortie de crise, basée à moyen terme sur la réhabilitation de deux sites d'enfouissement dans le pays. Le projet a immédiatement été rejeté par les habitants des régions concernées.
Outre Karantina, les déchets s'amoncellent des deux bords de la principale autoroute du nord de Beyrouth: sous les ponts et près de la côte méditerranéenne déjà polluée, à quelques mètres des stations balnéaires.
Sous le pont de Jounié, un épicentre commercial, les voitures doivent contourner une montagne d'ordures pour pouvoir passer.
A Dora, banlieue nord-est et noeud routier incontournable, un homme a été écrasé par une voiture en traversant l'autoroute, le pont des piétons étant bloqué par une pile de sacs de poubelles.
Sur la route côtière, "des déchets ont été déversés près des lieux de travail et personne ne peut mettre le nez dehors", s'indigne Naamtallah Bouari, directeur d'une station-service à Dbayé.
Et à l'approche de la saison d'hiver, on craint que les déchets ne se déversent carrément dans la mer.
Le ministère de la Santé a tiré mardi "la sonnette d'alarme", avertissant que les déchets pourraient boucher les canalisations.
Pire, de nombreux citoyens continuent de brûler les déchets ou de les asperger d'insecticides, aggravant la situation.
Le mouvement de protestation, initié par le collectif citoyen "Vous puez" se poursuit, les militants réclamant une solution durable à la crise.
Mardi, des jeunes ont déchargé, en signe de protestation, des sacs poubelles devant le ministère de l'Environnement. Et tout près du bâtiment, une poignée de militants mènent depuis deux semaines une grève de la faim réclamant la démission du ministre.
Militants et environnementalistes appellent à un plan obligeant les citoyens à faire le tri chez eux et à débloquer des fonds aux municipalités pour qu'elles fassent fonctionner des usines de traitement, soupçonnant les hommes politiques de corruption dans ce dossier.
Les manifestations avaient rapidement pris un caractère politique, les Libanais exprimant leur ras-le-bol contre l'impuissance de l'Etat et l'absence de services de base comme l'électricité et l'eau, 25 ans après la fin de la guerre civile.
"Même s'il y a des manifestations tous les jours, personne ne nous écoutera", affirme Ali, désabusé.
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