Musicien célèbre du camp de Yarmouk aux portes de Damas, Aeham Ahmad a
enduré trois ans de siège, de famine et de bombardements mais lorsque
les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) ont brûlé son piano, il a
rejoint la cohorte des migrants vers l'Europe.
"Ils l'ont brûlé en avril, le jour de mon anniversaire. C'était l'objet
que je chérissais le plus", confie-t-il à l'AFP qui le suit pas à pas,
via internet, sur la route de l'exil.
"C'était comme la mort d'un ami, mon piano était plus qu'un simple
instrument", poursuit l'artiste de 27 ans, dont les chansons d'espoir au
milieu des ruines ont fait le tour des réseaux sociaux.
Depuis que le conflit en Syrie a embrasé son camp de Yarmouk en 2012,
Aeham était devenu un symbole de résistance à la guerre, jouant du piano
dans les décombres et insufflant aux habitants, notamment aux enfants,
un peu de joie dans un quotidien de souffrances.
Ce vaste quartier au sud de Damas, où vivent principalement des réfugiés
palestiniens de Syrie, a été partiellement assiégé par l'armée
syrienne. Plus de 120 personnes sont mortes de faim selon une ONG et la
situation a empiré après l'assaut de l'EI le 1er avril.
"Tu ne sais pas que la musique est haram (interdite par la religion) ?",
lui ont lancé des jihadistes à un barrage alors qu'il cherchait à
sortir son piano dans un camion vers Yalda, une localité proche où se
trouvaient déjà son épouse et ses deux petits garçons.
"Les jours où je ressentais le plus d'impuissance, c'était quand j'avais
de l'argent mais que je ne pouvais procurer du lait à mon nourrisson
Kinane, âgé d'un an, ou quand mon aîné Ahmad me réclamait un biscuit.
C'est le pire sentiment".
Pourtant, Aeham est resté à Yarmouk jusqu'au jour où son inséparable piano a été incendié. "J'ai alors décidé de partir". Seul.
"Trafiquants de chair humaine"
Commence un périlleux voyage qui débute fin août à Damas, "sous une
pluie de roquettes", puis le mène à Homs, Hama et Idleb jusqu'à la
frontière turque. "Chaque fois, je faisais la connaissance d'un nouveau
trafiquant de chair humaine", se souvient-il.
Ces passeurs lui font gagner la Turquie à travers les barbelés, Ankara
imposant un strict contrôle de sa frontière. Il se cache trois nuits
dans une forêt avec un groupe d'hommes, de femmes et d'enfants. Puis,
vers le 10 septembre, il commence à poster des photos de lui, le visage
émacié. En 2014, le pianiste avait déjà perdu 25 kilos lors du siège de
Yarmouk.
Pour éviter des contrôles, ils emprunte une route montagneuse difficile.
"Il nous est arrivés de rester 24 heures presque sans nourriture. Les
enfants pleuraient tant ils avaient faim. C'était horrible", raconte
Aeham.
Quand il arrive finalement à Izmir (ouest), deuxième port de Turquie,
c'est le choc. "Les réfugiés dormaient sur les trottoirs car ils ne
pouvaient pas s'offrir une chambre d'hôtel".
Un trafiquant le loge dans un appartement "plein de rats et d'insectes"
puis l'emmène avec 70 autres personnes, entassés presque jusqu'à
l'étouffement, dans un mini-bus vers un lieu où ils doivent embarquer
pour l'île grecque de Lesbos.
Il paie 1.250 dollars pour rejoindre la Grèce sur un canot pneumatique
comme l'ont fait avant lui des milliers de compagnons d'infortune.
"Chère Méditerranée..."
Pris soudain de peur, il poste sur son "journal du voyageur" sur
Facebook une photo de lui portant un gilet de sauvetage et écrit: "Chère
Méditerranée, je m'appelle Aeham et j'aimerais que tes vagues me
transportent en toute sécurité".
Le 17 septembre à l'aube, échoué sur une plage grecque, il chante une
complainte sur cette "mort qui hante" son pays: "La tragédie a dépassé
les mers/La Syrie implore ses enfants déplacés de revenir".
Poursuivant son périple jusqu'à Athènes, puis en Macédoine, il aspire à
gagner l'Allemagne, terre de salut pour des milliers d'autres migrants.
Samedi, Aeham était arrivé aux portes de la Croatie. "Cela fait trois
jours que je ne dors pas, je suis exténué. J'espère prochainement
atteindre mon but", confie-t-il à l'AFP.
"Je saute de bus en bus, je marche une dizaine de kilomètres puis je
fais une pause dans un camp de réfugiés avant de reprendre un bus."
"Je veux jouer dans les rues de Berlin comme je jouais dans les rues de
Yarmouk", dit l'artiste qui espère que sa famille restée à Damas pourra
le rejoindre.
Son rêve ne s'arrête pas là. "J'aimerais jouer dans des orchestres
célèbres, faire le tour du monde et transmettre la souffrance de ceux
qui sont assiégés dans le camp (de Yarmouk) et de tous les civils restés
en Syrie".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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