La France « choisira seule » les objectifs à frapper en Syrie, a assuré
mardi Manuel Valls devant l'Assemblée nationale, en précisant que les «
vols de reconnaissance » nécessaires à l'opération dureront certainement
« plusieurs semaines ». Selon le Premier ministre, « il est hors de
question » que les frappes françaises contribuent « à renforcer le
régime de Bashar el-Assad ». Les missions de reconnaissance des avions
français « sont conduites à titre national, en pleine autonomie de
décision et d'action », a-t-il insisté : « Pleine autonomie d'action,
car, le président de la République l'a dit lundi, des frappes seront
nécessaires. Et nous choisirons seuls les objectifs à frapper. »
Plusieurs missions de reconnaissance françaises ont « déjà été réalisées
» et « cette campagne durera le temps qu'il faudra, plusieurs semaines
certainement », a précisé Manuel Valls lors du débat à l'Assemblée
nationale sur l'engagement des forces aériennes en Syrie. La France
entend s'appuyer à ce stade sur son dispositif déjà présent dans la
région au titre de l'opération Chammal en Irak.
Les missions aériennes françaises, « coordonnées - pour des raisons
opérationnelles - avec la coalition que dirigent les États-Unis,
s'appuient sur les moyens actuellement mobilisés dans le cadre de
Chammal », a poursuivi le chef du gouvernement. « Douze Rafale et Mirage
2000, un Atlantique 2 et un ravitailleur C135 sont engagés. Notre
frégate Montcalm, déployée en Méditerranée, continue, quant à elle, de
collecter les renseignements sur la situation en Syrie », a-t-il
rappelé. L'opération Chammal a été lancée le 19 septembre 2014 avec les
premiers raids de l'aviation française contre des positions du groupe
Daesh dans le nord de l'Irak.
« Toute intervention terrestre [...] serait inconséquente et irréaliste »
Le Premier ministre a en revanche de nouveau exclu toute intervention
terrestre française ou occidentale en Syrie, mais a indiqué pour la
première fois qu'une éventuelle coalition de pays voisins intervenant
pour « libérer la Syrie » de l'organisation État islamique aurait « le
soutien de la France ». « Toute intervention terrestre, c'est-à-dire
toute intervention au sol de notre part ou occidentale, serait
inconséquente et irréaliste », a dit le Premier ministre, répétant les
propos du président François Hollande.
« Mais si une coalition de pays de la région se formait pour aller
libérer la Syrie de la tyrannie de [l'organisation État islamique]
Daesh, alors ces pays auraient le soutien de la France », a-t-il
poursuivi. C'est la première fois qu'un haut responsable français
apporte publiquement le soutien français à ce scénario, a confirmé à
l'Agence France-Presse une source diplomatique.
« Un esprit de croisades »
Manuel Valls a justifié devant les députés le refus de la France
d'intervenir au sol en Syrie, une opération qui nécessiterait « des
dizaines de milliers d'hommes », sans le soutien des alliés habituels de
la France, et exposerait les troupes impliquées « à un très grand
danger ». « J'ai entendu des voix plaider pour une telle option », a dit
le Premier ministre alors que certains à droite, notamment Bruno Le
Maire, défendent une intervention au sol. « Intervenir avec les
Européens ? Mais qui, parmi eux, seraient prêts à une telle aventure ?
Avec les Américains ? Le veulent-ils ? Non », a souligné Manuel Valls,
rappelant également les enseignements du passé « douloureux » de la
guerre américaine en Irak.
« Ce que les exemples en Irak et en Afghanistan nous apprennent, c'est
qu'il faudrait mobiliser plusieurs dizaines de milliers d'hommes, qui
seraient alors exposés à un très grand danger », a également fait valoir
le chef du gouvernement. « C'est d'ailleurs le piège qui nous est tendu
par les djihadistes : nous contraindre à intervenir sur leur terrain
pour nous enliser, pour invoquer contre nous un soi-disant esprit de
croisades, pour susciter une solidarité devant une prétendue invasion »,
a-t-il dit.
« Nous ne ferons rien qui puisse consolider le régime »
Malgré ce rejet d'une intervention terrestre, Manuel Valls a insisté sur
le fait qu'« aucun compromis, aucun arrangement » n'était « possible »
avec Bashar el-Assad, relevant à l'adresse des Russes qu'un soutien
militaire au président syrien ne faisait qu'« alimenter la spirale de la
violence ». « Avec un homme responsable de tant de morts, de crimes de
guerre et contre l'humanité, aucun compromis, aucun arrangement n'est
possible ! » a martelé le Premier ministre devant l'Assemblée. « Nous
devons également intensifier nos efforts en Syrie. Nous ne ferons rien
qui puisse consolider le régime. L'urgence, c'est, au contraire, d'aller
vers un accord qui tourne définitivement la page des crimes de Bashar
el-Assad. Il est une grande part du problème. Il ne peut en aucun cas
être la solution », a insisté Manuel Valls.
« Transiger, pactiser, comme le proposent certains, ce serait une faute
morale », a encore insisté le Premier ministre, une allusion à certaines
voix de l'opposition qui considèrent qu'une solution au conflit syrien
doit inclure Bashar el-Assad. Dans cette optique, Manuel Valls s'est
adressé un peu plus tard à la Russie, « dont les positions demeurent
éloignées des nôtres ». « Nous avons tous un devoir de responsabilité :
tout soutien militaire au régime de Bashar el-Assad ne fait qu'alimenter
la spirale de la violence », a-t-il relevé en direction de Moscou. «
Nous devons d'autant plus parler à la Russie qu'il faut surmonter avec
eux la défiance née de l'intervention en Libye en 2011 », a-t-il convenu
enfin.
Filières irako-syriennes
Par ailleurs, 133 personnes parties de France et impliquées dans les
filières djihadistes irako-syriennes sont mortes à ce jour, a déclaré
Manuel Valls. « Nous estimons le nombre de Français ou des résidents en
France enrôlés dans les filières djihadistes à 1 880 ; 491 sont sur
place et 133 ont à ce jour trouvé la mort, et de plus en plus au travers
d'actions meurtrières, sous forme d'attentats suicides », a précisé
Manuel Valls. Le Premier ministre a évalué également « entre 20 000 et
30 000 » le nombre de ressortissants étrangers recensés dans les
filières irako-syriennes. Manuel Valls avait fourni début juin le
chiffre de 110 personnes parties de France tuées en Irak ou en Syrie,
précisant que 9 étaient mortes dans des actions suicides en Irak.
Députés et sénateurs débattent ce mardi, mais sans voter, de
l'engagement militaire français en Syrie et des frappes aériennes contre
le groupe État islamique que le président François Hollande a jugées
nécessaires lundi.
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