Un an après ses premières frappes en Irak au sein de la coalition
internationale contre l’organisation Etat islamique (EI), la France a
annoncé en avoir mené de nouvelles en Syrie, dimanche 27 septembre.
Selon le ministère de la défense, il ne s’agira pas d’une « campagne de
frappes massive » mais de coups ciblés pour répondre à la menace
croissante d’actions sur le territoire français de djihadistes formés en
Syrie. En Syrie comme en Irak, où les forces françaises ont mené 5 % du
total des frappes, l’intervention de la France reste à ce stade
limitée.
En un an, l’action de la coalition internationale emmenée par les
Etats-Unis a permis de freiner l’expansion de l’organisation terroriste
et de l’affaiblir, mais pas de la faire reculer de façon déterminante ni
d’anéantir ses capacités offensives.
De quels effectifs l’Etat islamique dispose-t-il ?
L’EI regroupe aujourd’hui cent mille à cent vingt-cinq mille combattants
en Syrie et en Irak, dont treize mille à quinze mille étrangers. Les
djihadistes français seraient au nombre de huit cents, principalement en
Syrie, et occupés à des tâches administratives, financières,
médiatiques et au recrutement.
Qui intervient en Irak ?
Les Etats-Unis ont engagé, le 8 août 2014, une campagne de frappes en Irak à l’invitation des autorités de Bagdad.
A la suite de la formation, en septembre 2014, d’une coalition
internationale contre l’EI, comprenant soixante pays, la France, la
Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Australie, le Danemark et
le Canada se sont joints à cette campagne.
Qui intervient en Syrie ?
Les forces américaines ont étendu leurs opérations à la Syrie le 23
septembre 2014, sans l’accord du président Bachar Al-Assad. Ces frappes
ont visé l’EI, mais aussi Al-Khorasan, proche d’Al-Qaida.
L’Arabie saoudite, la Jordanie, les Emirats arabes unis, Bahreïn et le
Qatar ont mis un terme à leur participation en Syrie après la mise sur
pied, à la fin de mars 2015, d’une coalition arabe sous bannière
saoudienne contre les rebelles houthistes au Yémen.
En avril, le Canada s’est joint à la campagne syrienne, suivi de la Turquie, qui cible pour sa part l’EI et les forces kurdes.
La Grande-Bretagne a annoncé en septembre avoir mené des frappes
ponctuelles contre des cibles présentant un danger immédiat pour ses
intérêts.
Quelle est la nature des interventions ?
En 415 jours de campagne, 7 085 frappes ont été menées — 506 en Irak et 2
579 en Syrie —, selon un décompte établi le 24 septembre par le
collectif indépendant Airwars.
Les Etats-Unis ont mené 70 % de leurs frappes en Irak, jusqu’à présent au cœur de leur stratégie de lutte contre l’EI.
Ces frappes, qui ont permis d’endiguer l’expansion de l’EI dans le nord
du pays, autour de Sinjar et au Kurdistan irakien, ont été élargies aux
provinces où les forces irakiennes combattent les djihadistes, au nord
de Bagdad et à l’ouest, dans l’Anbar.
Elles visent principalement les centres de commandement, les stocks de
munitions, les chefs de l’EI et les convois d’armes et de combattants.
Washington, qui a exclu l’envoi de forces au sol, dit vouloir s’appuyer, sur le terrain, sur les forces locales.
Quels sont les appuis de la coalition internationale en Irak ?
En Irak, la coalition internationale agit en appui aux peshmergas kurdes et aux forces gouvernementales irakiennes.
« Les forces gouvernementales et leurs alliés — la mobilisation
populaire (MP), les peshmergas, les tribus sunnites — se sont beaucoup
affaiblis, car ils sont divisés sur des lignes politiques et
confessionnelles », constate l’analyste irakien Hicham Al-Hachémi,
spécialiste de l’EI.
Les Etats-Unis ont déployé trois mille cinq cents conseillers, dont
quatre cent cinquante formateurs et cent conseillers pour former les
forces gouvernementales mises en déroute par l’EI en 2014 et les
peshmergas kurdes. Seuls treize mille combattants ont été formés.
Washington fait pression sur les autorités chiites de Bagdad pour former
un nombre accru de combattants sunnites, considérés comme la clé de la
reconquête des provinces sunnites, notamment de l’Anbar.
La défiance des autorités et partis chiites envers la population
sunnite, accusée de complicité avec l’EI, est un obstacle majeur.
Le programme de formation américain lancé en mai dans l’Anbar n’a
permis, à ce stade, de former que onze cents combattants sunnites, selon
Hicham Al-Hachémi.
Lire aussi : En Irak, la brigade des Lions victorieux d’Allah
Les Etats-Unis entendent par ailleurs limiter la participation des
milices chiites pro-iraniennes, majoritaires parmi les forces de la
mobilisation populaire (MP), une force d’appoint progouvernementale de
cent trente mille hommes, fer de lance sur le terrain.
Invoquant la crainte d’exactions contre les populations sunnites et le
refus d’une grande partie des clans sunnites de rallier des forces
gouvernementales menées par les milices chiites, les forces de la
coalition exigent, à quelques exceptions près, le retrait de ces milices
comme préalable à toute intervention.
Sur qui les Américains s’appuient-ils en Syrie ?
En Syrie, le soutien américain aux forces rebelles s’est révélé très
limité et tardif. Les Américains invoquent la fragmentation de
l’opposition armée et la difficulté d’identifier des forces dites «
modérées » sur le terrain.
Après un programme de formation lancé en Jordanie pour les combattants
du front sud syrien, Washington a commencé au printemps 2015 à former et
à équiper des rebelles syriens en Turquie pour combattre l’EI.
A la mi-septembre, le commandant des forces américaines au Moyen-Orient
(Centcom), le général Lloyd J. Austin, a reconnu que seuls quatre ou
cinq combattants se trouvaient sur le terrain, rejoints par
soixante-quinze autres hommes. Soit bien loin des objectifs fixés de
quinze mille combattants formés en trois ans.
Du fait des stricts critères de sécurité imposés par Washington, les
volontaires manquent à l’appel. Ces combattants font l’objet de
critiques au sein de la rébellion, voire d’attaques d’autres groupes
armés, du fait de l’objectif qui leur a été fixé de combattre l’EI et
non les forces du régime du président Bachar Al-Assad.
Quel est le bilan global des interventions ?
La coalition internationale affirme avoir tué plus de quinze mille
combattants de l’Etat islamique depuis le début de la campagne aérienne.
Selon Hicham Al-Hachémi, dix-neuf des quarante-trois grands chefs de
l’EI ont été tués.
« Ils sont remplacés, mais Daech [acronyme arabe de l’EI] ne dispose pas
d’un important vivier de chefs historiques, avec une histoire
djihadiste comparable aux chefs d’Al-Qaida », estime-t-il.
Quelles sont les positions de l’EI en Irak ?
En Irak, l’intervention de la coalition internationale a permis
d’endiguer l’expansion de l’EI au Kurdistan irakien, dans la plaine de
Mossoul et dans la région du Sinjar. Les djihadistes, qui se trouvaient à
cent kilomètres au nord de Bagdad en juin 2014, ont été repoussés des
provinces de Salaheddine et de Diyala.
Mais, pour Hicham Al-Hachémi, les forces gouvernementales appuyées par
la coalition internationale n’ont à ce jour pas remporté de « bataille
décisive » contre l’EI.
Depuis la libération de Tikrit, capitale de la province de Salaheddine,
en avril 2015, les forces gouvernementales piétinent à Baiji, à deux
cents kilomètres au nord de Bagdad, et dans la province sunnite de
l’Anbar, dans l’Ouest, où elles ont enregistré en mai leur plus grand
revers, avec la prise par l’EI de Ramadi.
La bataille de Mossoul, dans le nord du pays, annoncée comme prioritaire en septembre 2014, a été reportée sine die.
Quelle est la situation de l’EI en Syrie ?
Dans le nord-est de la Syrie, les combattants kurdes des unités de
protection du peuple (YPG) ont réussi, avec le soutien de la coalition
internationale, à repousser les combattants de l’EI de Kobané, de Tal
Abyad et de la frontière turque.
Mais, de leur fief de Rakka, dans l’est du pays, les djihadistes ont
poursuivi leur expansion vers Deir ez-Zor, plus à l’est, où ils
assiègent les forces du régime, ainsi que dans la province d’Alep,
jusqu’à la frontière turque, autour de Palmyre — conquise le 20 mai 2015
— et au sud-est de Damas.
Cette expansion s’est faite au détriment des forces rebelles syriennes
qui combattent à la fois le régime de Bachar Al-Assad et les djihadistes
de l’EI.
Des djihadistes étrangers continuent-ils à entrer en Irak et en Syrie ?
L’intervention de la coalition internationale et les mesures prises
récemment par la Turquie pour empêcher l’entrée de djihadistes étrangers
par son territoire n’ont pas permis d’endiguer le flot de recrues. «
Jusqu’à février 2015, entre cinq et dix nouvelles recrues étrangères
rejoignaient chaque jour le mouvement », indique M. Hachémi.
Les services américains estiment que près de trente mille djihadistes
étrangers se sont rendus en Syrie et en Irak depuis 2011, la plupart
pour rejoindre les rangs de l’EI, rapportait samedi 27 septembre le New
York Times. L’EI continuerait ainsi de recruter une moyenne d’un millier
de combattants étrangers par mois.
Pourquoi et comment la Russie intervient-elle en Syrie ?
Craignant un effondrement du régime du président Assad, dont les forces
ne contrôlent plus qu’un tiers du pays, autour de Damas, de Homs et du
littoral, la Russie a déployé une trentaine d’avions de reconnaissance
et d’attaque au sol, des Soukhoï 24 et 30.
Elle pourrait procéder à des frappes, notamment contre le Front
Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida, qui de la province d’Idlib
(Nord-Ouest) menace le régime.
Avec qui les Russes agissent-ils en Syrie ?
Une cellule de coordination militaire avec les forces syriennes,
iraniennes et les milices chiites irakiennes qui combattent en Syrie a
été mise sur pied, selon le centre américain Institute for Study of War
(ISW).
La Russie joue également un rôle accru en Irak. Dimanche 27 septembre,
le premier ministre, Haidar Al-Abadi, a annoncé une coopération
sécuritaire et en renseignement accrue entre la Syrie, la Russie, l’Iran
et l’Irak.
Selon l’ISW, citant des informations non confirmées, une cellule de
coordination conjointe entre la Russie et l’Iran, qui inclurait des
généraux russes, a été mise sur pied à Bagdad.
Existe-t-il une coordination des actions entre les Russes et la coalition ?
La Russie a exigé de la coalition internationale qu’elle coordonne avec
elle et avec Damas ses frappes en Syrie. Cette coordination est de facto
nécessaire. Les avions russes pourraient rapidement entrer en action en
Syrie, et, depuis peu, les troupes de Bachar Al-Assad frappent de
nouveau les combattants de l’EI autour de Deir ez-Zor et de Rakka.
La coordination militaire sera au programme des discussions entre le
président russe, Vladimir Poutine, et le président américain, Barack
Obama, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies qui s’est
ouverte lundi 28 septembre à New York.
La coalition anti-Etat islamique pourrait-elle être étendue ?
Les pays membres de la coalition contre l’organisation EI ont, à ce
stade, refusé le principe d’une coalition intégrant le président Assad
et l’Iran, comme le propose la Russie.
(28-09-2015
- Hélène Sallon, Le Monde)
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