Par Youssef Abdelké (Syrie)
A 84 ans, Zahra Zahroura imaginait finir sa vie à Homs, sa terre d'adoption. Mais la guerre a été plus forte et elle a pris le chemin de l'Europe, comme de nombreux Palestiniens réfugiés en Syrie et au Liban.
Son voyage s'est terminé plus tôt que prévu. L'octogénaire a été secourue dimanche au large de Chypre avec une centaine de migrants, après l'avarie du bateau parti de la ville libanaise de Tripoli.
Elle ne sait pas encore comment elle pourra rallier les côtes grecques et suivre le chemin déjà tracé par des milliers de Syriens ou d'Irakiens.
Bloqué à Chypre avec Zahra, Mohammed Hussein Hassan reconnait avoir pris la mer en voyant "à la télé les milliers de migrants sur les routes". "Cela m'a encouragé à partir moi aussi", lance ce Palestinien du camp libanais de Chatila qui espère rejoindre son frère installé à Berlin.
Parmi les 115 personnes à bord du bateau secouru, une majorité d'entre elles étaient des "Palestiniens du Liban ou de Syrie", indique un responsable du camp de Kofinou, dans le sud de Chypre, où elles ont été accueillis.
Parfois installés depuis des décennies, les Palestiniens de Syrie ont vu leur vie bouleversée par le conflit meurtrier qui a fait plus de 240.000 morts depuis 2011. Les plus affectés sont ceux du camp de Yarmouk, le plus grand du pays, transformé en enfer par les combats opposant forces du régime et rebelles ou les organisations palestiniennes et les jihadistes.
Situé dans la banlieue de Damas, Yarmouk accueillait avant le conflit 160.000 personnes, tant Syriens que Palestiniens, mais elles ne sont plus que 18.000 selon l'agence de l'ONU UNRWA.
Avant la guerre, Zahra n'aurait jamais pensé quitter son camp de Bab Amro, un quartier de Homs. "Mon mari travaillait et on y vivait correctement, pas comme dans ceux du Liban". "Mais nous avons dû partir à cause des combats", se désole-t-elle, les yeux cernés de rides mais toujours lumineux.
Car Bab Amro, quartier phare de la révolution de 2011, a été pilonné par l'aviation du régime de Bashar al-Assad. "Toutes les maisons sont à terre, tout a été dévasté par les bombardements", témoigne Zahra.
Les Palestiniens du Liban ne sont certes pas sous la menace des bombes, mais leur vie semble, pour certains, avoir atteint un point de non retour. "Nous n'avons pas de pays et le Liban ne nous donne pas de droits", se lamente Ghassan Nasser, un Palestinien du camp de Chatila, aux portes de Beyrouth.
La plupart d'entre eux vivent dans les camps dans des conditions catastrophiques et sont interdits de travailler dans plusieurs secteurs. L'afflux des réfugiés syriens a encore réduit leurs possibilités de trouver un emploi.
"C'est vrai, jusqu'ici on a vécu avec ces conditions (...) mais aujourd'hui on ne peut plus les supporter", ajoute Ghassan Nasser, la gorge serrée.
Ce commerçant affirme que ce ne sont pas le flot d'images sur les migrants arrivant en Europe qui l'ont poussé à fuir. "Notre volonté d'immigrer est antérieure à la guerre en Syrie", assure-t-il.
Mais pas question pour lui comme pour la plupart des autres réfugiés palestiniens de rejoindre un pays arabe.
"Pour les pays arabes, nous sommes des terroristes. S'il se passe quelque chose, on dit que ce sont les Palestiniens. Nous ne voulons pas de leur argent, mais d'une vie digne", fulmine Mohammed Hussein Hassan. Son verdict est sans appel: "les pays arabes ont échoué".
D'ailleurs, "si on vivait bien au Liban, pourquoi prendre de tels risques pour rejoindre l'Europe par la mer?", interroge le père de famille, parti avec son fils.
Cela fait des années que les organisations internationales tirent la sonnette d'alarme sur les conditions de vie rudimentaires dans les 12 camps de Palestiniens du Liban, et les difficultés que les réfugiés rencontrent pour trouver un emploi.
Le pays du Cèdre compte environ 450.000 réfugiés palestiniens enregistrés, qui représentent à eux seuls près de 10% de la population du pays, selon l'ONU.
Dans l'espoir de rejoindre un jour l'Allemagne ou la Suède, de nombreux migrants palestiniens ont engagé des démarches pour obtenir le statut de réfugiés à Chypre, tout en sachant qu'ils devront s'armer de patience pour l'obtenir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire