Le ministre irakien des affaires étrangères, Ibrahim Al-Jaafari, était à
Paris pour assister, mardi 8 septembre, à la conférence internationale
sur les victimes des violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient.
Il s’est entretenu avec la presse sur la situation en Irak, un an après
la création de la coalition internationale de lutte contre l’Etat
islamique (EI).
Quel bilan faites-vous de l’intervention de la coalition anti-EI en Irak, un an après sa création ?
Sa création a été un pas dans le bon sens, tout comme la reconnaissance
par la coalition que Daech [acronyme arabe de l’Etat islamique] n’avait
aucun lien avec l’islam. On a pris la mesure de l’urgence mais, les
moyens n’ont pas été à la hauteur. Daech n’est pas un interlocuteur qui
peut accepter la paix et la réconciliation. Il ne parle que le langage
de la violence, donc seule l’action militaire peut y répondre. Il faut
intensifier les mesures de soutien à la lutte contre Daech pour qu’il
soit endigué et n’atteigne pas l’Europe. Les combattants de Daech
appartiennent à 80 pays et nationalités différentes. C’est une
idéologie, une culture, un phénomène mondial et pas seulement régional.
Les frappes aériennes peuvent avoir un effet mais ne suffisent pas à
elles seules. La gestion de la bataille sur le terrain est faite par les
forces irakiennes. Elles ont besoin d’une couverture aérienne, de
munitions, d’aide logistique et de renseignement. Nous avons également
besoin d’une aide humanitaire pour deux millions de déplacés irakiens et
deux millions de réfugiés.
Les Emirats arabes unis ont proposé d’envoyer des troupes au
sol en Irak. Le secrétaire d’Etat américain John Kerry pense que c’est
la bonne solution. Qu’en pensez-vous ?
Je ne crois pas qu’à l’heure actuelle, il soit convenable d’avoir des
troupes étrangères. Ce serait une ingérence étrangère directe. Il y a
une peur légitime du citoyen irakien lambda de toute intervention
étrangère. Beaucoup de nos jeunes vont au front. Il faut les soutenir
eux.
Que pensez-vous de la participation de la Turquie à la coalition et
notamment des frappes qu’elle a menées au Kurdistan irakien ?
Nous sommes ravis d’apprendre le renforcement de la mission anti-Daech
de la Turquie. Nous avons en revanche convoqué l’ambassadeur turc pour
transmettre notre mécontentement quand leurs avions ont survolé des
bases en Irak. Si la sécurité de la Turquie est en jeu, nous pouvons
coopérer avec eux, avec nos forces.
Nombreux sont ceux qui disent que la lutte contre l’EI passe par une solution politique à la crise syrienne…
Je ne veux pas me mêler du dossier syrien mais parler d’une réunion de
tous ceux qui sont menacés par Daech. Les efforts internationaux doivent
être concentrés sur cela. Cela fait cinq ans que l’on débat sur la
crise syrienne. Le pouvoir est toujours en place et Al-Qaida s’est
renforcé et a enfanté Daech.
Les deux dossiers, irakien et syrien, sont liés car nous avons un ennemi
commun qui fait des infiltrations d’un pays à l’autre. Cela fait quatre
ans que nous observons la situation en Syrie et redoutons son extension
en Irak. Aujourd’hui, nous craignons que de nouvelles formes plus
agressives d’organisations prennent forme en Syrie. Seule la solution
militaire permettra d’y faire face ; donc, il faut intensifier l’action
militaire. La solution politique sera, elle, trouvée par le peuple
syrien.
Quelle est la nature de votre coopération sécuritaire avec le
régime syrien ? Une réunion tripartire Iran-Irak-Syrie avait été
annoncée avant l’été, a-t-elle eu lieu ?
Notre relation avec la Syrie découle avant tout de la géographie, de nos
ressources naturelles partagées et de notre histoire. Il y a de grandes
disparités entre les régimes de la région. Il faut empêcher toute
ingérence dans les affaires respectives de chacun. Nous maintenons une
constance dans notre relation avec nos voisins. La conférence tripartite
se tiendra au moment propice.
Est-il vrai que l’Irak joue le rôle d’intermédiaire entre la Syrie et les Etats-Unis ?
Ce n’est pas une position officielle. Quand on joue le rôle de médiateur
entre l’Occident et d’autres pays, c’est dans le but de désamorcer les
tensions. Nous avons salué le rapprochement entre l’Iran et les
Etats-Unis. On en perçoit déjà les conséquences. Il y a un an, quand il y
a eu les conférences de Paris et de Djeddah, l’Iran n’était pas
invitée, alors que cela aurait été intéressant.
Nombreux sont ceux qui voient dans l’inclusion des populations
sunnites irakiennes dans la sphère politique et dans la lutte contre
l’EI, la clé de la bataille contre cette organisation. Des réformes dans
le sens d’une plus grande intégration avaient été annoncées il y a un
an par votre gouvernement, comme la création d’une garde nationale,
pourquoi n’ont-elles toujours pas été votées ?
Le Parlement irakien exerce son droit légitime : pouvoir voter ou non
des lois. Il n’y a pas de problème entre sunnites et chiites en Irak. Le
président est kurde sunnite, le chef du parlement sunnite arabe, le
parlement irakien est formé majoritairement de sunnites.
La proposition a été formulée d’organiser un sommet des pays de la
coalition internationale en marge de l’assemblée générale des Nations
unies, fin septembre. Allez-vous y participer ?
Nous soutenons fortement cette proposition. L’Irak participera avec le premier ministre, Haidar Al-Abadi, et moi-même.
(10-09-2015 - Propos recueillis par Hélène Sallon, Le Monde)
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