jeudi 10 septembre 2015

Irak : « Il faut intensifier l’action militaire contre l’EI » (ministre irakien des affaires étrangères)

Le ministre irakien des affaires étrangères, Ibrahim Al-Jaafari, était à Paris pour assister, mardi 8 septembre, à la conférence internationale sur les victimes des violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient. Il s’est entretenu avec la presse sur la situation en Irak, un an après la création de la coalition internationale de lutte contre l’Etat islamique (EI).




Quel bilan faites-vous de l’intervention de la coalition anti-EI en Irak, un an après sa création ?
Sa création a été un pas dans le bon sens, tout comme la reconnaissance par la coalition que Daech [acronyme arabe de l’Etat islamique] n’avait aucun lien avec l’islam. On a pris la mesure de l’urgence mais, les moyens n’ont pas été à la hauteur. Daech n’est pas un interlocuteur qui peut accepter la paix et la réconciliation. Il ne parle que le langage de la violence, donc seule l’action militaire peut y répondre. Il faut intensifier les mesures de soutien à la lutte contre Daech pour qu’il soit endigué et n’atteigne pas l’Europe. Les combattants de Daech appartiennent à 80 pays et nationalités différentes. C’est une idéologie, une culture, un phénomène mondial et pas seulement régional.
Les frappes aériennes peuvent avoir un effet mais ne suffisent pas à elles seules. La gestion de la bataille sur le terrain est faite par les forces irakiennes. Elles ont besoin d’une couverture aérienne, de munitions, d’aide logistique et de renseignement. Nous avons également besoin d’une aide humanitaire pour deux millions de déplacés irakiens et deux millions de réfugiés.

Les Emirats arabes unis ont proposé d’envoyer des troupes au sol en Irak. Le secrétaire d’Etat américain John Kerry pense que c’est la bonne solution. Qu’en pensez-vous ?
Je ne crois pas qu’à l’heure actuelle, il soit convenable d’avoir des troupes étrangères. Ce serait une ingérence étrangère directe. Il y a une peur légitime du citoyen irakien lambda de toute intervention étrangère. Beaucoup de nos jeunes vont au front. Il faut les soutenir eux.

Que pensez-vous de la participation de la Turquie à la coalition et notamment des frappes qu’elle a menées au Kurdistan irakien ?
Nous sommes ravis d’apprendre le renforcement de la mission anti-Daech de la Turquie. Nous avons en revanche convoqué l’ambassadeur turc pour transmettre notre mécontentement quand leurs avions ont survolé des bases en Irak. Si la sécurité de la Turquie est en jeu, nous pouvons coopérer avec eux, avec nos forces.

Nombreux sont ceux qui disent que la lutte contre l’EI passe par une solution politique à la crise syrienne…
Je ne veux pas me mêler du dossier syrien mais parler d’une réunion de tous ceux qui sont menacés par Daech. Les efforts internationaux doivent être concentrés sur cela. Cela fait cinq ans que l’on débat sur la crise syrienne. Le pouvoir est toujours en place et Al-Qaida s’est renforcé et a enfanté Daech.
Les deux dossiers, irakien et syrien, sont liés car nous avons un ennemi commun qui fait des infiltrations d’un pays à l’autre. Cela fait quatre ans que nous observons la situation en Syrie et redoutons son extension en Irak. Aujourd’hui, nous craignons que de nouvelles formes plus agressives d’organisations prennent forme en Syrie. Seule la solution militaire permettra d’y faire face ; donc, il faut intensifier l’action militaire. La solution politique sera, elle, trouvée par le peuple syrien.

Quelle est la nature de votre coopération sécuritaire avec le régime syrien ? Une réunion tripartire Iran-Irak-Syrie avait été annoncée avant l’été, a-t-elle eu lieu ?
Notre relation avec la Syrie découle avant tout de la géographie, de nos ressources naturelles partagées et de notre histoire. Il y a de grandes disparités entre les régimes de la région. Il faut empêcher toute ingérence dans les affaires respectives de chacun. Nous maintenons une constance dans notre relation avec nos voisins. La conférence tripartite se tiendra au moment propice.

Est-il vrai que l’Irak joue le rôle d’intermédiaire entre la Syrie et les Etats-Unis ?
Ce n’est pas une position officielle. Quand on joue le rôle de médiateur entre l’Occident et d’autres pays, c’est dans le but de désamorcer les tensions. Nous avons salué le rapprochement entre l’Iran et les Etats-Unis. On en perçoit déjà les conséquences. Il y a un an, quand il y a eu les conférences de Paris et de Djeddah, l’Iran n’était pas invitée, alors que cela aurait été intéressant.

Nombreux sont ceux qui voient dans l’inclusion des populations sunnites irakiennes dans la sphère politique et dans la lutte contre l’EI, la clé de la bataille contre cette organisation. Des réformes dans le sens d’une plus grande intégration avaient été annoncées il y a un an par votre gouvernement, comme la création d’une garde nationale, pourquoi n’ont-elles toujours pas été votées ?
Le Parlement irakien exerce son droit légitime : pouvoir voter ou non des lois. Il n’y a pas de problème entre sunnites et chiites en Irak. Le président est kurde sunnite, le chef du parlement sunnite arabe, le parlement irakien est formé majoritairement de sunnites.

La proposition a été formulée d’organiser un sommet des pays de la coalition internationale en marge de l’assemblée générale des Nations unies, fin septembre. Allez-vous y participer ?
Nous soutenons fortement cette proposition. L’Irak participera avec le premier ministre, Haidar Al-Abadi, et moi-même.

(10-09-2015 - Propos recueillis par Hélène Sallon, Le Monde)

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