jeudi 30 juin 2016

Tunisie: Les couacs de l'union nationale (Benoît Delmas)

Il est 16 h 45 au ministère du Développement. Au 5e étage d'un bâtiment déserté, ramadan oblige, Yassine Brahim est en forme. Le ministre ne sera interrompu que par un seul coup de fil : celui du Premier ministre Habib Essid qui veut s'assurer que celui qui est aussi le leader du parti Afek Tounes (libéral social) est prêt pour la réunion du lendemain. On doit discuter entre partis de la future feuille de route du futur gouvernement. Une semaine auparavant, à son domicile, Rached Ghannouchi philosophait sur les délais nécessaires pour sa mise en place. Le leader d'Ennahda, première force au Parlement, jugeait que ça prendrait le temps que ça prendrait. À la présidence de la République, par la voix d'une de ses conseillères, on estimait il y a huit jours que la fumée blanche sortirait avant l'Aïd-El-Fitr (6 juillet). Ghannouchi évoque le 25 juillet désormais. De tous les bords politiques, hormis le Front populaire, on explique qu'il faut « aller vite, frapper fort, accélérer les réformes, remettre le pays au travail ». Depuis vingt-huit jours, il semble cependant urgent de discuter. L'actuel Premier ministre vit des jours difficiles. Les islamistes, devenus parti civil depuis leur congrès national, le soutiennent faute d'un remplaçant jugé satisfaisant. Chez Nidaa Tounes, le parti de Béji Caïd Essebsi, les voix sont de plus en plus discordantes. Certains optent pour Essid comme la corde soutient le pendu. Ce haut fonctionnaire qui dirige la Kasbah depuis 2015 est soumis à une situation intenable. Les rumeurs toxiques n'aident pas. La radio Mosaïque FM, la plus importante du pays, annonçait son hospitalisation. Un démenti a suivi. Ambiance…

La quadrature du cercle
Un proche des pouvoirs indique que le choix du futur patron du gouvernement nécessite plusieurs curseurs : « Il doit être Nidaa-compatible, Ennahda-compatible, UGTT-compatible, société civile-compatible, etc. » L'union sera à ce prix. Quelques noms ont fuité, des fuites orchestrées ou alimentées par Carthage. Parmi eux : Slim Chaker, ministre des Finances, Néji Jalloul, ministre de l'Éducation nationale, Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale, Mustafa Kamel Nébli, ancien gouverneur de la BCT… D'autres ont spontanément fait acte de candidature : Ahmed Néjib Chebbi principalement. Les réunions se succèdent entre partis, autour de BCE. Bilatéral, trilatéral, octolatéral… Les principaux leaders doivent se mettre d'accord sur l'action que devra mener ce gouvernement. Et choisir l'un d'entre eux. Beaucoup estiment que BCE a déjà fait son choix, mais qu'« il ne carbonisera pas sa principale carte ».

BCE a mis la classe politique au pied du mur
En fin politique, le président Essebsi a contraint tous les dirigeants à se positionner et à accepter sa proposition. « Ils ont tous compris qu'un nouvel échec serait collectif, il n'y aura ni bons ni méchants, ils seront tous comptables aux yeux des Tunisiens », analyse un conseiller d'un chef de parti. Autour de la table des négociations : Nidaa Tounes, Ennahda, Afek Tounes, Mohsen Marzouk, ex-SG de Nidaa ayant fait sécession à l'automne avec 26 députés, le syndicat UGTT sans qui aucune réforme (notamment l'augmentation de l'âge de la retraite) ne peut se faire. Avec ses 500 000 adhérents, la centrale syndicale a le pouvoir de bloquer le pays. Le patronat se fait plus discret, mais milite en coulisses pour une remise en marche de l'économie au plus vite. Le ramadan a mis l'économie au ralenti, un peu plus encore. Si les négociations politiques ont occupé les quatre dernières semaines, l'économie devra reprendre ses droits au plus vite.

(30-06-2016 - Benoît Delmas)

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