Les premiers djihadistes, qui détruisaient des statues dans le musée de
Mossoul, agissaient à visage découvert. Ils s'exhibaient, fiers de leur
forfait. "Dorénavant, ils opèrent masqués, par peur d'être reconnus",
constate Édouard Planche, responsable du programme de lutte contre le
trafic des biens culturels à l'Unesco. Que s'est-il passé entre-temps ?
Un chef touareg, du groupe malien Ansar Dine, qui avait ordonné la
destruction de neuf mausolées, dont celle de Sidi Yahia à Tombouctou, a
comparu le 30 septembre dernier devant la Cour pénale internationale
pour "crime de guerre". C'est une première. Mais c'est aussi la preuve
que les terroristes sont remarquablement bien informés.
Ce n'est pas Daesh qui a pris l'initiative de ces actes de vandalisme.
Les djihadistes ont été sollicités par… l'Arabie saoudite. Cheikhmous
Ali, président de l'Association pour la protection de l'archéologie
syrienne et chercheur attaché à l'université de Strasbourg, cite le cas
d'un Syrien rémunéré par les princes du Golfe pour participer à la
destruction du passé du pays. Pour les islamistes, les musées, nés à
l'initiative des Européens, sont autant de symboles honnis de la
domination coloniale…
Casser une statue en plusieurs morceaux
"Daesh laisse des traces écrites, comme ces autorisations autorisant le
pillage de sites archéologiques, délivrées contre rémunérations", révèle
Cheikhmous Ali en présentant des documents établis par l'organisation
État islamique. En effet, si les terrorises détruisent ce qu'ils ne
peuvent pas transporter, comme des temples à Palmyre, en revanche, ils
commercialisent les petits objets, qui passent facilement les
frontières, et peuvent même s'envoyer par la poste. "Quitte même à
casser une grande statue en trois ou quatre morceaux !" ajoute le
chercheur syrien.
Une dizaine de spécialistes participaient, mercredi 18 novembre à
Drouot, à une table ronde sur le thème "S'organiser contre le trafic des
antiquités" afin de couper une partie des sources de financement de
Daesh. Parmi les orateurs, Jean-Luc Martinez, président-directeur du
musée du Louvre, qui vient de présenter à François Hollande cinquante
propositions pour stopper ces exactions, qui représenteraient "15 à 20 %
des ressources pécuniaires de l'organisation terroriste". Pour
commencer, il préconise la création d'une liste noire "des paradis du
recel", sur le modèle des listes noires des paradis fiscaux. Une
campagne de longue haleine, mais qui commence à donner des résultats, la
Suisse et le Luxembourg annonçant la fin du secret bancaire.
Trésors archéologiques contre drogue
Jean-Luc Martinez met notamment en cause les ports francs, moins ceux de
Suisse que d'autres pays, "où aucune obligation d'inventaires à
l'intention des douanes n'est imposée". Parmi les vilains canards du
trafic de trésors archéologiques, plusieurs pays ont dû entendre leurs
oreilles siffler à Drouot, à commencer par la Turquie, puis par la
Belgique, Singapour, et les pays du Golfe "où dans les palais
s'entassent, sans aucun scrupule, les antiquités prélevées sur des sites
archéologiques en Irak et en Syrie".
Sur le marché officiel, les trésors, répertoriés dans les bases de
données, sont invendables. "En revanche, ils se retrouvent sur les
marchés gris. Nous avons des cas où des objets de grande valeur ont
servi de caution lors de livraisons de drogue ou d'armes", commente
Philippe Marquis, conservateur au département des antiquités orientales
au musée du Louvre. Néanmoins, le trafic d'antiquités ne pourrait pas se
développer sans l'existence d'organisations criminelles bien
antérieures à Daesh. "Il n'existe pas beaucoup de personnes qui ont le
cran d'aller négocier avec les terroristes, puis qui possèdent
suffisamment de ressources financières pour patienter trois, cinq ou
même dix ans avant de mettre sur le marché ces trésors volés", souligne
le colonel Ludovic Ehrhart, chef de l'Office central de lutte contre le
trafic de biens culturels. Il serait effectivement temps de s'attaquer
aussi à ces "transitaires".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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