vendredi 20 novembre 2015

Moyen-Orient : "Le pétrole rapporte un million de dollars par jour à l'État islamique"

Comment Daesh extrait-il et vend-il le pétrole irakien et syrien ? Le décryptage de Francis Perrin, président de Stratégies et Politiques énergétiques.
Propos recueillis par Michel Revol

Les champs pétroliers d'Irak étaient-ils, dès le départ, un objectif de l'État islamique ?
Oui, dès avant 2014, les forces de l'État islamique cherchent à prendre le contrôle de ces champs, dans l'est de la Syrie et le nord de l'Irak. Trois raisons principales expliquent cet objectif. D'abord, l'État islamique mène une guerre, ce qui nécessite du carburant pour ses véhicules. L'acheter sur les marchés est compliqué, il faut donc extraire le pétrole et le raffiner. Dans toutes les guerres, la question de l'approvisionnement en carburant est vitale. Deuxième raison : l'EI doit distribuer et commercialiser des produits pétroliers, carburant ou fuel, auprès des populations qui sont sous son contrôle. Enfin, l'EI cherche avec le pétrole une source de revenus en l'exportant, si je puis dire, dans les zones de l'Irak et de la Syrie qu'il ne contrôle pas, ainsi qu'en Jordanie, en Turquie et au Liban, pour l'essentiel.

L'EI a-t-il donc les compétences pour exploiter les puits de pétrole, comme à Mossoul ?
Oui. Ils savent faire fonctionner les installations, ils disposent de camions-citernes et obligent les employés des sites à travailler pour eux. Il faut bien se rendre compte que l'État islamique dispose d'un personnel administratif, de financiers, d'ingénieurs. S'il manque de compétences, en l'occurrence dans le secteur du pétrole, il va les chercher ailleurs. L'EI bénéficie d'un département des ressources humaines qui définit des profils de poste, prend des contacts dans le monde entier via les réseaux sociaux, avec des offres de carrières et de bons salaires !

Quelle est la production pétrolière de l'État islamique ?
Elle est évaluée à 40 000 à 50 000 barils par jour, ce qui est marginal si on rapporte ce chiffre à la production mondiale, qui est de 92 millions de barils. L'État islamique n'est pas l'Arabie saoudite. Mais cette faible production lui rapporte déjà de quoi se renforcer et nuire.

Combien d'argent la vente du pétrole lui rapporte-t-elle ?
C'est difficile à évaluer. Les estimations qui circulent me semblent exagérées puisqu'on ne peut se contenter de multiplier leur production par le prix du baril, qui est évidemment vendu à prix bradé. Dans les 40 000 à 50 000 barils, combien sont utilisés pour être raffinés pour les besoins propres de l'État islamique, notamment pour servir de carburant ? Par ailleurs, les sites d'exploitation sont régulièrement visés par les bombardements, donc dégradés. J'estime donc que l'exploitation du pétrole lui rapporte au grand maximum un million de dollars par jour.

Et quelles sont leurs réserves ?
Là encore, il faut être très prudent. Elles ne sont pas immenses, et surtout ces gens ne disposent pas des capacités pour l'extraire dans les meilleures conditions. L'Etat islamique ne peut faire appel à une société de services, comme Total le fait avec Schlumberger, par exemple ! Les revenus potentiels de ces réserves sont donc très inférieurs à ce qu'un opérateur traditionnel pourrait mobiliser.

Comment le pétrole est-il ensuite vendu ?
D'abord, l'État islamique vend en majorité des produits pétroliers, fuel et carburant, beaucoup plus faciles à écouler. Dans cette région existent de nombreuses filières très expérimentées dans ce type de contrebande. Il exploite ce filon depuis le début des années 90, avec les embargos sur le pétrole irakien puis iranien. Nul besoin pour lui de traiter de gros volumes : il achète quelques barils de produits pétroliers à 25 dollars, par exemple, et fait la culbute en les revendant à 50.

Qui sont ces contrebandiers ?
Des Syriens et des Irakiens, pour la majorité. Ils sont nés dans ces régions, les connaissent par cœur et sont prêts à tuer père et mère pour vendre quelques barils. Comprenez bien que ces sites se situent dans des zones désertiques, ce qui facilite leur trafic. Ils disposent de quelques camions-citernes et les font transiter jusqu'en Jordanie ou en Turquie pour les revendre à d'autres intermédiaires. Dans ces régions, pas besoin de formulaires en plusieurs exemplaires pour vendre ou acheter du fuel. Et les douaniers ne sont pas les personnes les plus incorruptibles qui soient !

Vous dites que le pétrole exploité par l'État islamique est vendu aussi en Syrie et en Irak. C'est-à-dire ?
L'Irak et la Syrie sont même leurs deux principaux marchés. Les clients sont les groupes armés qui combattent le régime de Bachar et l'État islamique lui-même. Eux aussi ont grand besoin de carburant. On est vraiment dans le pratico-pratique : pour gagner de l'argent, l'EI vend à ceux qu'il combat, et ceux qui achètent sont prêts à acheter au diable !

La manne pétrolière est donc une rente de situation pour l'État islamique...
Non, parce qu'elle faiblit. L'EI est, comme les autres pays producteurs de pétrole, frappé par la chute des cours. Les pressions se multiplient sur les pays où se trouvent des acheteurs, comme en Turquie, et les bombardements ont dégradé les conditions d'exploitation des puits. Les revenus du pétrole et sa part dans les ressources de l'État islamique sont donc en baisse.

(19-11-2015)

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