Comment Daesh extrait-il et vend-il le pétrole irakien et syrien ? Le
décryptage de Francis Perrin, président de Stratégies et Politiques
énergétiques.
Propos recueillis par Michel Revol
Les champs pétroliers d'Irak étaient-ils, dès le départ, un objectif de l'État islamique ?
Oui, dès avant 2014, les forces de l'État islamique cherchent à prendre
le contrôle de ces champs, dans l'est de la Syrie et le nord de l'Irak.
Trois raisons principales expliquent cet objectif. D'abord, l'État
islamique mène une guerre, ce qui nécessite du carburant pour ses
véhicules. L'acheter sur les marchés est compliqué, il faut donc
extraire le pétrole et le raffiner. Dans toutes les guerres, la question
de l'approvisionnement en carburant est vitale. Deuxième raison : l'EI
doit distribuer et commercialiser des produits pétroliers, carburant ou
fuel, auprès des populations qui sont sous son contrôle. Enfin, l'EI
cherche avec le pétrole une source de revenus en l'exportant, si je puis
dire, dans les zones de l'Irak et de la Syrie qu'il ne contrôle pas,
ainsi qu'en Jordanie, en Turquie et au Liban, pour l'essentiel.
L'EI a-t-il donc les compétences pour exploiter les puits de pétrole, comme à Mossoul ?
Oui. Ils savent faire fonctionner les installations, ils disposent de
camions-citernes et obligent les employés des sites à travailler pour
eux. Il faut bien se rendre compte que l'État islamique dispose d'un
personnel administratif, de financiers, d'ingénieurs. S'il manque de
compétences, en l'occurrence dans le secteur du pétrole, il va les
chercher ailleurs. L'EI bénéficie d'un département des ressources
humaines qui définit des profils de poste, prend des contacts dans le
monde entier via les réseaux sociaux, avec des offres de carrières et de
bons salaires !
Quelle est la production pétrolière de l'État islamique ?
Elle est évaluée à 40 000 à 50 000 barils par jour, ce qui est marginal
si on rapporte ce chiffre à la production mondiale, qui est de 92
millions de barils. L'État islamique n'est pas l'Arabie saoudite. Mais
cette faible production lui rapporte déjà de quoi se renforcer et nuire.
Combien d'argent la vente du pétrole lui rapporte-t-elle ?
C'est difficile à évaluer. Les estimations qui circulent me semblent
exagérées puisqu'on ne peut se contenter de multiplier leur production
par le prix du baril, qui est évidemment vendu à prix bradé. Dans les 40
000 à 50 000 barils, combien sont utilisés pour être raffinés pour les
besoins propres de l'État islamique, notamment pour servir de carburant ?
Par ailleurs, les sites d'exploitation sont régulièrement visés par les
bombardements, donc dégradés. J'estime donc que l'exploitation du
pétrole lui rapporte au grand maximum un million de dollars par jour.
Et quelles sont leurs réserves ?
Là encore, il faut être très prudent. Elles ne sont pas immenses, et
surtout ces gens ne disposent pas des capacités pour l'extraire dans les
meilleures conditions. L'Etat islamique ne peut faire appel à une
société de services, comme Total le fait avec Schlumberger, par exemple !
Les revenus potentiels de ces réserves sont donc très inférieurs à ce
qu'un opérateur traditionnel pourrait mobiliser.
Comment le pétrole est-il ensuite vendu ?
D'abord, l'État islamique vend en majorité des produits pétroliers, fuel
et carburant, beaucoup plus faciles à écouler. Dans cette région
existent de nombreuses filières très expérimentées dans ce type de
contrebande. Il exploite ce filon depuis le début des années 90, avec
les embargos sur le pétrole irakien puis iranien. Nul besoin pour lui de
traiter de gros volumes : il achète quelques barils de produits
pétroliers à 25 dollars, par exemple, et fait la culbute en les
revendant à 50.
Qui sont ces contrebandiers ?
Des Syriens et des Irakiens, pour la majorité. Ils sont nés dans ces
régions, les connaissent par cœur et sont prêts à tuer père et mère pour
vendre quelques barils. Comprenez bien que ces sites se situent dans
des zones désertiques, ce qui facilite leur trafic. Ils disposent de
quelques camions-citernes et les font transiter jusqu'en Jordanie ou en
Turquie pour les revendre à d'autres intermédiaires. Dans ces régions,
pas besoin de formulaires en plusieurs exemplaires pour vendre ou
acheter du fuel. Et les douaniers ne sont pas les personnes les plus
incorruptibles qui soient !
Vous dites que le pétrole exploité par l'État islamique est vendu aussi en Syrie et en Irak. C'est-à-dire ?
L'Irak et la Syrie sont même leurs deux principaux marchés. Les clients
sont les groupes armés qui combattent le régime de Bachar et l'État
islamique lui-même. Eux aussi ont grand besoin de carburant. On est
vraiment dans le pratico-pratique : pour gagner de l'argent, l'EI vend à
ceux qu'il combat, et ceux qui achètent sont prêts à acheter au diable !
La manne pétrolière est donc une rente de situation pour l'État islamique...
Non, parce qu'elle faiblit. L'EI est, comme les autres pays producteurs
de pétrole, frappé par la chute des cours. Les pressions se multiplient
sur les pays où se trouvent des acheteurs, comme en Turquie, et les
bombardements ont dégradé les conditions d'exploitation des puits. Les
revenus du pétrole et sa part dans les ressources de l'État islamique
sont donc en baisse.
(19-11-2015)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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