Les appels à une stratégie globale contre le terrorisme se sont
multipliés jeudi en Tunisie, où certains parlementaires et experts ont
jugé "superficielles" les mesures annoncées dans la foulée de l'attentat
suicide contre la garde présidentielle.
Mardi, au coeur de Tunis, un kamikaze de 26 ans a déclenché sa ceinture
d'explosifs contre un bus de la sécurité présidentielle dont 12 membres
ont été tués.
Il s'agit du troisième attentat d'envergure revendiqué cette année par
le groupe Etat islamique (EI), qui a fait de la Tunisie l'une de ses
principales cibles. Soixante personnes en tout ont été tuées en mars au
musée du Bardo et en juin dans un hôtel près de Sousse. Le kamikaze de
mardi a été identifié comme un vendeur ambulant, Houssam Abdelli,
habitant Daouar Hicher, un quartier populaire de la banlieue de Tunis.
Suspecté par la police d'appartenir à des mouvements extrémistes, il
avait été mis fin août en détention provisoire avant d'être libéré sur
décision judiciaire, a affirmé sur Nessma TV le porte-parole du syndicat
de l'Administration générale des unités d'intervention, Mehdi Chaouch,
relevant de la police.
A la suite de l'attaque, les autorités ont annoncé une série de mesures:
rétablissement de l'état d'urgence dans tout le pays, couvre-feu
nocturne dans le Grand Tunis et fermeture pour 15 jours de la frontière
poreuse avec la Libye, longue de près de 500 km.
Unanimes, partis politiques et société civile ont exhorté à "l'union
nationale" et appelé à "se ranger derrière les forces de l'ordre".
Depuis mardi, des centaines de Tunisiens se sont rendus sur les lieux de
l'attentat, où de nombreuses gerbes de fleurs ont été déposées. Jeudi
soir, une messe a été célébrée en la cathédrale de Tunis pour les
"victimes du terrorisme". "Les joies du peuple tunisien sont nos joies
et ses souffrances sont nos souffrances", a dit l'archevêque de Tunis,
Mgr Ilario Antoniazzi.
Manque de vision
Mais les critiques et appels à une stratégie antiterroriste globale se sont dans le même temps multipliés.
"Notre peuple attend davantage", a lancé l'élu de gauche Ahmed Seddik au Parlement en présence du Premier ministre Habib Essid.
Plusieurs autres députés, comme Abdellatif Mekki du parti islamiste
Ennahda, deuxième force politique, ont réclamé la tenue d'un congrès
national sur la lutte antiterroriste, jusque-là reporté.
La veille, le Conseil de sécurité nationale présidé par le chef de
l'Etat Béji Caïd Essebsi a annoncé la fermeture provisoire de la
frontière avec la Libye et le "renforcement de la surveillance sur les
frontières maritimes et dans les aéroports".
Il a également été décidé de doter le ministère de l'Intérieur et
l'armée de 6.000 agents supplémentaires au total en 2016, d'"intensifier
les opérations de blocage des sites (internet) en lien avec le
terrorisme" et d'"activer la loi antiterroriste le plus vite possible".
Pour l'expert indépendant Selim Kharrat, il s'agit de "décisions
superficielles prises pour rassurer une opinion publique apeurée, qui
dénotent d'un manque de vision". "Quelle est la stratégie de fond? Quid
de la réforme des appareils sécuritaires? Que prévoyez-vous de faire
pour l'éducation et contre le chômage?", déplore-t-il.
Hamza Meddeb, chercheur non-résident au Carnegie Center, évoque un "paradoxe" tunisien.
Alors que des dizaines de policiers, militaires, touristes et civils ont
été tués depuis la révolution de 2011, "une vraie stratégie nationale
concertée contre le terrorisme, qui mobilise l'Etat, la société civile
et les partis n'existe pas".
Centraliser le renseignement
Face aux critiques, M. Essid a défendu les mesures prises et assuré
qu'un plan pour l'emploi des jeunes dans les régions jouxtant les
montagnes -où sont retranchés des jihadistes et où chômage et misère
sont prégnants- serait très vite mis en oeuvre.
Le ministère de l'Intérieur a par ailleurs annoncé l'arrestation de "30
personnes suspectées d'appartenir à des organisations terroristes",
après 26 interpellations mercredi.
Et le ministre de l'Intérieur Najem Gharsalli a affirmé que les
Tunisiens de retour de zones de conflit feraient l'objet d'une mesure
"d'assignation à résidence".
La Tunisie fait face depuis 2011 à un essor de la mouvance jihadiste et
des milliers de Tunisiens ont rejoint les groupes extrémistes en Irak,
en Syrie et en Libye. D'après les autorités, les auteurs des attaques du
Bardo et de Sousse avaient été formés au maniement des armes en Libye.
Pour M. Meddeb, la Tunisie doit élaborer "une politique étrangère
équilibrée sur la Libye et ne pas se laisser enliser dans le conflit".
Il lui faut aussi développer la coopération entre armée et police pour
centraliser le renseignement.
Le gouvernement a averti que l'état d'urgence et le couvre-feu seraient
"strictement" appliqués, provoquant l'inquiétude d'ONG qui ont appelé au
respect des libertés publiques.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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