La colère était prévisible. Reste que, face à la décision européenne
d'appliquer un étiquetage différencié aux produits en provenance des
colonies israéliennes, les dirigeants en Israël n'ont pas fait dans la
nuance : "Une honte", a déclaré Benjamin Netanyahu, avant d'ajouter :
"C'est hypocrite, il s'agit de deux poids deux mesures : on cible Israël
alors qu'il y a aujourd'hui dans le monde 200 autres conflits
territoriaux…" Encore plus virulente, sa ministre de la Justice, Ayelet
Shaked, n'a pas hésité à parler d'une "haine anti-israélienne qui
dépasse les bornes". Immédiatement convoqué aux Affaires étrangères à
Jérusalem, le représentant de l'Union européenne a eu droit aux foudres
de Tzipi Hotovely, la très Likoud vice-ministre.
Ses services ont établi la liste des territoires occupés dans le monde
qui n'ont pas fait l'objet d'une telle mesure européenne. Par exemple,
le Sahara occidental occupé par le Maroc ou la partie turque de Chypre.
Quoi qu'il en soit, et en représailles, Israël a suspendu toutes les
discussions diplomatiques avec l'Europe. Notamment concernés, les
projets européens en cours, pour aider les Palestiniens, en zone C de la
Cisjordanie, un secteur totalement contrôlé par Israël. Quant à la
condamnation de l'UE, elle vaut aussi à gauche où le président du parti
travailliste a évoqué une mesure "dangereuse et nuisible". Toujours au
sein de l'opposition, Yaïr Lapid, le leader de Yesh Atid ("Il y a un
avenir"), a rejoint ceux qui dénoncent une décision "antisémite".
Colonies peu exportatrices
Alors, pourquoi une telle vindicte ? Est-ce les retombées économiques
d'un tel changement d'étiquetage qui concerne notamment les fruits,
légumes, dattes, le miel, les œufs, poulets et les cosmétiques ? C'est
peu probable quand on sait que les exportations israéliennes en
provenance des colonies ne dépassent pas 200 millions de dollars par an,
soit pas plus de 1 % du montant annuel des marchandises israéliennes
exportées vers l'Europe qui se situe entre 18 et 20 milliards de
dollars. Interrogé par The Marker, un des principaux journaux
économiques du pays, le patron du syndicat des agriculteurs israéliens a
une autre préoccupation : que cela touche finalement l'ensemble des
exportations israéliennes : "Le consommateur, explique Mair Tsur, n'est
pas un expert en géographie. Et donc il y a tous les risques qu'il ne
fasse pas la différence entre un produit venu des colonies ou de
l'intérieur de la ligne verte (la frontière d'avant 1967)."
Pourtant, pour L'Union européenne, il n'est pas question d'un boycott.
Chaque importateur peut commander des produits venus des colonies et les
placer dans les divers circuits de distribution. Le consommateur
décidera s'il veut acheter ou non des "produits de Cisjordanie (colonie
israélienne)" ou des "produits de Cisjordanie (produits palestiniens)".
De toute manière, rappelle-t-on à Bruxelles, les accords commerciaux
établis avec Israël en 2005 spécifient en toutes lettres que "les
marchandises produites dans les colonies de peuplement israéliennes
implantées dans les territoires placés sous administration israélienne
depuis juin 1967 ne peuvent pas bénéficier du régime tarifaire
préférentiel prévu par l'accord d'association UE-Israël". Ce n'est pas
tout. Plus récemment, Benjamin Netanyahu avait accepté que l'accord sur
la recherche scientifique "Horizon 2000" ne puisse pas s'appliquer aux
instituts israéliens situés en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est.
"Le monde est contre nous"
Autant de données que l'actuel gouvernement israélien se garde bien de
rappeler à son opinion publique. Mieux vaut expliquer la décision
européenne par l'expression de l'antisémitisme actuel qui se manifeste
notamment par le boycott d'Israël dans le monde. Selon un sondage publié
en septembre dernier par l'Institut israélien pour la démocratie et
l'université de Tel-Aviv, 71 % des personnes interrogées dans le secteur
juif estiment que "le monde est contre" elles et plus de 79 % rejettent
tout boycott contre les implantations juives de Cisjordanie. En effet,
les réactions virulentes des responsables politiques israéliens, de
droite comme de gauche, mis à part Meretz, le petit parti à la gauche
des travaillistes, et la Liste arabe unifiée, sont à replacer dans le
cadre de la lutte officielle contre le boycott d'Israël en général, et
BDS (l'organisation Boycott, désinvestissement et sanctions) en
particulier. Ce mardi le parlement israélien n'a-t-il pas voté en
lecture préliminaire, à une large majorité de 55 contre 31, un projet de
loi visant à interdire l'entrée en Israël de toute personne appelant
son boycott ? Un texte très critiqué par la minorité de gauche.
(13-11-2015
- Danièle Kriegel)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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