lundi 2 novembre 2015

Tunisie : Violences au bureau exécutif de Nidaa Tounes (Benoît Delmas)

Des gifles, des nervis armés de barres de bois, des portes brisées, un hall dégradé, des insultes, des leaders politiques contraints de quitter les lieux sous des « dégage ! », le président de l'Assemblée qui fait demi-tour… Ainsi va la vie de Nidaa Tounes, le parti qui dirige la Tunisie depuis fin 2014. Ce dimanche, la formation a connu une nouvelle escalade. Des insinuations on est passé aux accusations. Des menaces on a franchi le cap de la violence physique via des gros bras. Il était dix heures, hôtel Solazur, aux centaines de chambres sans touristes. La cité balnéaire de Hammamet se réveille. Le bureau exécutif du parti Nidaa Tounes devait s'y tenir. À la place : des nervis, armés de barres, bloquent l'entrée et la sortie, des bris de verre jonchent le hall du quatre-étoiles, le tout sous le regard apathique de la police qui a manifestement reçu la consigne de ne pas intervenir. Malgré la présence de députés, de ministres… Cette courte scène ? Un nouvel acte de la vie tumultueuse du parti arrivé en tête aux élections législatives du 26 octobre 2014 : le Nidaa Tounes conçu sur mesure pour le président de la République, Béji Caïd Essebsi. 85 députés sur 217 à l'ARP et Carthage pour acquis. Trois clans s'affrontent : celui du secrétaire général, Mohsen Marzouk ; celui de Hafedh Caïd Essebsi, fils de ; et, plus discret ces temps-ci, celui de Nabil Karoui, président de la télévision Nessma.

Le fils du président Essebsi dans la ligne de mire
Après le fiasco du Solazur, le bureau exécutif s'est réuni dans un second hôtel. Les membres présents ont accusé Hafedh Caïd Essebsi et Ridha Belhaj d'être à l'origine des violences. Pour leur part, les partisans de Caïd Essebsi Junior rendent Mohamed Ennaceur, le président du parti et président de l'ARP, et Mohsen Marzouk, le secrétaire général de Nidaa, responsables de ces divisions. Certains expliquant que « Marzouk est pressé d'accéder au palais de Carthage ». Dans l'autre camp, trente-deux députés ont adressé une lettre ouverte au président de la République, missive venimeuse qui assène qu'il « n'est un secret pour personne que votre fils, Hafedh Caïd Essebsi, le directeur de votre cabinet, M.Ridha Belhaj, et leurs partisans sont derrière ces violences ». Les élus, plus d'un tiers du groupe Nidaa à l'ARP, demandent des « condamnations ».

Un chaos aux répercussions gouvernementales
Bilan de ce long dimanche : un parti au bord du chaos, un président de la République ramené à son rôle de président de parti (dont il a démissionné après l'élection présidentielle), des hommes d'État affaiblis (le président de l'ARP, le dir cab de BCE, les leaders de Nidaa…), des méthodes rappelant celles du RCD (le parti unique sous Ben Ali) avec une milice en embuscade. Dans le jargon tunisien, on parle de « casse-croûte ». Des délinquants recrutés via un sandwich avec un billet glissé dedans pour les motiver. Cette bande a agi à visage découvert, malgré la présence de plusieurs médias. Et n'a, à aucun instant, été inquiétée. La Tunisie entre dans un automne et un hiver social risqué. L'UGTT, le syndicat mené par Houcine Abassi, menace d'une grande grève du secteur privé si l'Utica et son collège de Nobel n'augmentent pas les salaires. Les kidnappings de Tunisiens en Libye s'accélèrent. La contrebande prospère, le chômage également. Certaines mosquées, pas des moindres, à Sfax, Béja, « dégagent » les imams nommés par l'État. Et le parti au pouvoir se déchire à coups de barre à Hammamet. À six semaines d'un congrès national qui risque d'être sanglant, politiquement parlant. « On voudrait dégoûter les Tunisiens de la démocratie qu'on ne s'y prendrait pas autrement », lâche, écoeuré, un proche du pouvoir. Si une partie des députés Nidaa venaient à faire défection, l'Ennahdha mené par le Cheikh Rached Ghannouchi reprendrait l'ascendant. Et provoquerait une crise politique. Ce n'est pas encore le cas, mais le chef du gouvernement, le très inflexible Habib Essid, ne fait pas l'unanimité. Il a limogé le ministre de la Justice. Et ne l'a pas remplacé depuis dix jours. Idem pour Lazhar Akermi qui a démissionné de son job de ministre chargé des Relations avec le Parlement. Il n'a toujours pas de successeur, six semaines après son départ. Entre guerre pour le pouvoir et difficultés structurelles (situation sécuritaire tendue, crise économique), le pouvoir issu des urnes se bat. Contre lui-même. La grogne des Tunisiens ne peut que s'en nourrir.

(02-11-2015 - Benoît Delmas)

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