Des gifles, des nervis armés de barres de bois, des portes brisées, un
hall dégradé, des insultes, des leaders politiques contraints de quitter
les lieux sous des « dégage ! », le président de l'Assemblée qui fait
demi-tour… Ainsi va la vie de Nidaa Tounes, le parti qui dirige la
Tunisie depuis fin 2014. Ce dimanche, la formation a connu une nouvelle
escalade. Des insinuations on est passé aux accusations. Des menaces on a
franchi le cap de la violence physique via des gros bras. Il était dix
heures, hôtel Solazur, aux centaines de chambres sans touristes. La cité
balnéaire de Hammamet se réveille. Le bureau exécutif du parti Nidaa
Tounes devait s'y tenir. À la place : des nervis, armés de barres,
bloquent l'entrée et la sortie, des bris de verre jonchent le hall du
quatre-étoiles, le tout sous le regard apathique de la police qui a
manifestement reçu la consigne de ne pas intervenir. Malgré la présence
de députés, de ministres… Cette courte scène ? Un nouvel acte de la vie
tumultueuse du parti arrivé en tête aux élections législatives du 26
octobre 2014 : le Nidaa Tounes conçu sur mesure pour le président de la
République, Béji Caïd Essebsi. 85 députés sur 217 à l'ARP et Carthage
pour acquis. Trois clans s'affrontent : celui du secrétaire général,
Mohsen Marzouk ; celui de Hafedh Caïd Essebsi, fils de ; et, plus
discret ces temps-ci, celui de Nabil Karoui, président de la télévision
Nessma.
Le fils du président Essebsi dans la ligne de mire
Après le fiasco du Solazur, le bureau exécutif s'est réuni dans un
second hôtel. Les membres présents ont accusé Hafedh Caïd Essebsi et
Ridha Belhaj d'être à l'origine des violences. Pour leur part, les
partisans de Caïd Essebsi Junior rendent Mohamed Ennaceur, le président
du parti et président de l'ARP, et Mohsen Marzouk, le secrétaire général
de Nidaa, responsables de ces divisions. Certains expliquant que «
Marzouk est pressé d'accéder au palais de Carthage ». Dans l'autre camp,
trente-deux députés ont adressé une lettre ouverte au président de la
République, missive venimeuse qui assène qu'il « n'est un secret pour
personne que votre fils, Hafedh Caïd Essebsi, le directeur de votre
cabinet, M.Ridha Belhaj, et leurs partisans sont derrière ces violences
». Les élus, plus d'un tiers du groupe Nidaa à l'ARP, demandent des «
condamnations ».
Un chaos aux répercussions gouvernementales
Bilan de ce long dimanche : un parti au bord du chaos, un président de
la République ramené à son rôle de président de parti (dont il a
démissionné après l'élection présidentielle), des hommes d'État
affaiblis (le président de l'ARP, le dir cab de BCE, les leaders de
Nidaa…), des méthodes rappelant celles du RCD (le parti unique sous Ben
Ali) avec une milice en embuscade. Dans le jargon tunisien, on parle de «
casse-croûte ». Des délinquants recrutés via un sandwich avec un billet
glissé dedans pour les motiver. Cette bande a agi à visage découvert,
malgré la présence de plusieurs médias. Et n'a, à aucun instant, été
inquiétée. La Tunisie entre dans un automne et un hiver social risqué.
L'UGTT, le syndicat mené par Houcine Abassi, menace d'une grande grève
du secteur privé si l'Utica et son collège de Nobel n'augmentent pas les
salaires. Les kidnappings de Tunisiens en Libye s'accélèrent. La
contrebande prospère, le chômage également. Certaines mosquées, pas des
moindres, à Sfax, Béja, « dégagent » les imams nommés par l'État. Et le
parti au pouvoir se déchire à coups de barre à Hammamet. À six semaines
d'un congrès national qui risque d'être sanglant, politiquement parlant.
« On voudrait dégoûter les Tunisiens de la démocratie qu'on ne s'y
prendrait pas autrement », lâche, écoeuré, un proche du pouvoir. Si une
partie des députés Nidaa venaient à faire défection, l'Ennahdha mené par
le Cheikh Rached Ghannouchi reprendrait l'ascendant. Et provoquerait
une crise politique. Ce n'est pas encore le cas, mais le chef du
gouvernement, le très inflexible Habib Essid, ne fait pas l'unanimité.
Il a limogé le ministre de la Justice. Et ne l'a pas remplacé depuis dix
jours. Idem pour Lazhar Akermi qui a démissionné de son job de ministre
chargé des Relations avec le Parlement. Il n'a toujours pas de
successeur, six semaines après son départ. Entre guerre pour le pouvoir
et difficultés structurelles (situation sécuritaire tendue, crise
économique), le pouvoir issu des urnes se bat. Contre lui-même. La
grogne des Tunisiens ne peut que s'en nourrir.
(02-11-2015 - Benoît Delmas)
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